Le système économique haïtien n’arrête pas de nous épater, que ce soit au niveau micro ou macro, avec l’ensemble des compréhensions qui découlent des faits ou phénomènes économiques, ou encore des individus évoluant dans le milieu. Toute une logique propre régit ce système et lui donne son caractère spécial. Dans les marchés publics, le prix des marchandises n’est pas exempt de ce constat, sa détermination se tient sur une logique proprement individuelle mettant en relation l’équilibre de la rationalité vendeurs-acheteurs. Cette rationalité fait loi et est le moyen par excellence utilisé par tous bons acheteurs et vendeurs.
Plusieurs questions se posent alors : Est-ce qu’il n’y a pas de prix fixe pour les marchandises étalées dans les marchés publics en Haïti ? Quelle est la possibilité d’acheter une marchandise à son vrai prix ? Quels mécanismes utilisés par les vendeurs pour fixer le prix de leurs marchandises ? Et, comment l’acheteur donne-t-il sa réplique en donnant son prix ? etc. Ce sont des questions tout à fait logique à se poser et qui ont des réponses. Mais bien avant, il faut une idée de ce qu’ont dit certains auteurs à propos du prix des marchandises, de ce qui le compose et aussi comment le fixer pour bien l’appréhender.
La détermination du prix d’une marchandise dans la logique de Marx
Le prix d’une marchandise est l’élément régulateur de la relation d’échange établie entre un acheteur et un vendeur. Les deux se mettent d’accord sur la valeur d’octroi et d’acquisition de la marchandise en question. C’est en quelque sorte une dispute qui doit déboucher apparemment sur un gagnant et un perdant, ce qui n’est pas forcément vrai puisque les deux parties dans ce cas seront satisfaites. Marx a eu son mot à dire à ce sujet, et a pris en compte certains éléments qui d’après lui sont nécessaires et fondamentaux à sa détermination. Dans son texte « Travail Salarié et capital » il énonce que le prix d’une marchandise est déterminé par la concurrence existant entre acheteurs et vendeurs, c’est-à-dire le rapport de l’offre et de la demande[1]. Pour lui, il existe une guerre entre ces deux catégories qui cherchent chacun à vouloir évincer l’autre. L’important d’après Marx c’est qu’il faut que chaque armée[2] diminue le potentiel conflit interne possible du fait de la concurrence entre chaque principal acteur (individu), pour ainsi amener la concurrence dans le camp adverse et avoir le dessus. En ce sens, il est plausible d’avoir un prix pour une marchandise qui reflète le désir de vendre ou d’acquérir la marchandise à ce prix.
La conception du prix d’après Ricardo et Malthus
Catherine Martin relate un débat sur la formation des prix des marchandises entre David Ricardo et Robert Malthus dans son article Demande et formation des prix dans la théorie classique. Dans ce débat Malthus cherche à faire accepter à Ricardo certaines erreurs qu’il a établies dans sa façon de déterminer les prix des marchandises. Pour Ricardo, la formation des prix se conçoit sur la base de deux lois : l’une réglant les prix naturels qui sont indépendants du marché, et l’autre qui réagit suivant la loi de la gravitation assurant que les prix du marché peuvent s’éloigner des prix naturels pour toujours y revenir[3]. Il admet comme évidence qu’une augmentation de la demande puisse faire hausser le prix de marché d’une marchandise au-dessus de son prix naturel, là se trouve le problème pour Malthus.
Ce dernier prend en compte deux notions de la demande que Ricardo a négligée ou n’a pas cherchée à distinguer : l’étendue de la demande et l’intensité de la demande[4]. Pour lui une évidence s’impose : « ce n’est pas dans le sens d’une plus grande étendue de la demande que la consommation fait hausser le prix»[5]. Il faut aussi considérer l’offre, dans ce cas, s’il y a une augmentation simultanée entre l’offre et la demande. L’élévation du prix n’est pas probable puisque le marché restera le même selon Malthus. L’intensité de la demande, c’est ce qu’il faut prioriser jusqu’ici. Toutefois, il faut retenir à l’idée que le prix de marché est régulé par l’accouplement de l’offre et de la demande aussi grande que puisse être la demande pour une marchandise.
Le prix des marchandises dans le milieu formel haïtien
Sans faire de détour, le prix dans les marchés en Haïti comme ailleurs est déterminé par l’offre et la demande. Dans les espaces comme les markets, les grands stores, les shops, etc. le prix des marchandises se trouve étiqueté sur la marchandise de sorte que chaque potentiel acheteur puisse voir de lui-même la valeur d’échange du produit qu’il veut acquérir. Ces espaces ainsi structurés n’offrent pas d’autres possibilités à l’acheteur d’acheter un produit que celui inscrit sur l’étiquète. Donc, en apparence le prix est déterminé sans le consentement des demandeurs (acheteurs), cependant les offreurs considèrent plutôt la catégorie ayant la capacité, la possibilité et le désir d’accéder à ces espaces bien déterminés. Une classification est établie au préalable en mettant en avant une minorité possédant le pouvoir d’achat nécessaire, et par la suite exclue la grande majorité incapable de par ses faibles moyens à acquérir un bien ou produit dans l’un de ces espaces. D’où, l’avènement a un modèle de fonctionnement propre lié aux prix dans les marchés publics.
L’accord sur le prix dans les marchés publics en Haïti
Sur le marché citoyen-informel, caractérisé par une structure des prix non transparente, les prix sont déterminés par marchandages, c’est-à-dire un processus de négociation qui se fait entre deux agents et qui permet l’ajustement entre l’offre et la demande du produit[6].
L’offre et la demande ne sont pas les seuls éléments pris en compte suivant cette idée, d’autres facteurs externes au circuit économique font leur apparition. Comme déjà dit tout au début de cet article, il existe une adversité entre vendeurs et acheteurs dans les marchés publics. Les premiers se regroupent suivant la disposition de leur panier de vente, et revendiquent ainsi leur droit d’offreurs de telle ou telle marchandise dans le milieu. Ce qui est intriguant à tout cela c’est la conclusion à un prix pour l’achat d’une marchandise, et c’est ce qu’on a considéré comme potentiel élément de conflit puisque cela ne se résume pas seulement à la loi de l’offre et de la demande mais laisse entrer d’autres aspects à sa détermination. Un marchand peut demander 500 gourdes pour un bien qu’un acheteur peut acquérir à 150 ou 200 gourdes maximum. Pourquoi demander un prix si élevé ? Comment mesurer la marge de bénéfice du vendeur dans ce cas ?
Il existe en effet un trou noir dans la relation d’achat entre l’acheteur et le vendeur sur la conclusion à un prix pour un bien. Un acheteur peut donner 400 gourdes pour le bien dont le prix d’acquisition est 150 ou 200 gourdes, un autre peut donner 300 gourdes. Mais l’acheteur qui sait comment fonctionne le marché ne dépassera pas le tiers du prix demandé par le vendeur sans faire de pression l’amenant à accepter son prix offert pour le bien. De ce fait, il existe toujours de grands litiges entre les vendeurs et les acheteurs au courant des modalités de fonctionnement du marché.
Cela ne traduit pas pour autant qu’il n’existe pas de prix plancher[7], le vendeur n’acceptera jamais de descendre en dessous d’un certain prix. Cependant, son prix plafond[8] reste le prix qu’il a demandé en premier. Toutefois, ce groupe (les vendeurs) peut réagir de façon tout à fait négative si un acheteur donne un prix en dessous de leur prix plancher (seul le marchand est au courant de ce prix), le prix en-dessous duquel s’il vend la marchandise il accusera une perte. La réaction peut-être une injure, des sottises, et même du mépris à l’égard de celui qui veut acheter. Et ce dernier peut aussi faire la réciprocité par une réaction conforme à la réaction du vendeur : injure, sottises, etc.
Nous pouvons donc, en ce sens, considérer que le prix d’acquisition d’un bien, surtout dans les marchés publics, n’est pas chose anodine. Il faut connaitre la logique dans les comportements sur les prix donnés aux marchandises par les vendeurs. Chacun des camps, chacune des armées posent leur pion pour la conclusion à un prix favorable plus ou moins proche du prix d’acquisition de la marchandise. L’offre et la demande sont toujours présentes, mais l’action individuelle de chacun des acteurs face à face est fondamentale à la détermination du prix et l’acquisition du bien par l’acheteur.
Crédit de photo : Wikipédia/auteur inconnu
[1] Karl Marx, Travail Salarié et Capital, Pékin, Editions en langues étrangères, p20.
[2] Selon Marx, cette expression “armée” désigne le regroupement des deux groupes adverses : offreurs et demandeurs de force de travail. Chacun de ces groupes lutte pour leur suprématie à l’équilibre du marché.
[3] Martin Catherine. Demande et formation des prix dans la théorie classique : le débat entre Ricardo et Malthus. In: Cahiers d’économie politique, n°7, p31.
[4] Ibid., p34
[5] Ibidem.
[6] DOURA Fred, Economie d’Haïti : dépendance, crises et développement, Montréal, Les Editions DAMI, Tome 2, p46.
[7] Prix réglementé en déça duquel il est illégal d’acheter un bien ou un service.
[8] Prix réglementé au-delà duquel il est illégal de vendre un bien ou un service.
Bibliographie
DAUBIGNEY, J. P. & Meyer, G. (1980). La théorie marxiste du salaire. L’Actualité économique, 56(1), 60–79. https://doi.org/10.7202/600889ar.
DOURA Fred, Economie d’Haïti : dépendance, crises et développement, Montréal, Les Editions DAMI, Tome 2, 2002, 347p.
KARL Marx, Travail Salarié et Capital, Pékin, Editions en langues étrangères, 1976, 89p.
MARTIN Catherine. Demande et formation des prix dans la théorie classique : le débat entre Ricardo et Malthus. In: Cahiers d’économie politique, n°7, 1982. La formation des prix dans la pensée non-classique. pp. 31-50.
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