Depuis septembre dernier, les eaux des Caraïbes sont devenues le champ d’un inquiétant bras de fer entre les États-Unis d’Amérique et le Venezuela. Frappes ciblées, déploiement naval, accusations de part et d’autre, les tensions entre Washington et Caracas ont atteint un niveau inédit en gestation depuis plus d’une décennie.
Si pour Washington il s’agit de lutter contre le narcotrafic depuis l’Amérique du Sud, pour Caracas, c’est une nouvelle forme de manifestation de l’impérialisme américain. Une situation qui semble désormais engendrer la rupture du dialogue entre les deux États.
Des relations entravées avec un passé compliqué.
Les liens entre les États-Unis et le Venezuela ont depuis des années été marqués par des idéologies différentes, notamment avec l’arrivée au pouvoir de Hugo Chavez en 1999, avec comme idéologie le socialisme du XXIème siècle. Mort en mars 2013, son successeur, Nicolas Maduro, a poursuivi une politique de défiance envers Washington, tout en renforçant ses relations avec la Russie, la Chine et aussi avec l’Iran.
Malgré les diverses sanctions contre Caracas, notamment les sanctions économiques américaines mises en place dès 2017 qui ont asphyxié le secteur pétrolier vénézuélien et exacerbé une crise humanitaire sans précédent dans le pays, le régime de Nicolas Maduro se maintient au pouvoir depuis avril 2013. En 2019, Juan Guaido, alors jeune président du parlement vénézuélien, a été reconnu comme Président du Vénézuela par plusieurs pays, mais cela n’a pas suffi à renverser le gouvernement en place.
Washington, de son côté, dénonce la corruption et le rôle du cartel de Los Soles dans le trafic de cocaïne vers l’Amérique du Nord. Par la même voix, la Maison Blanche accuse le président vénézuélien, Nicolas Maduro, d’alimenter le narcotrafic dans l’Amérique du Sud. Ainsi, il fait l’objet de recherche par la justice américaine.
L’escalade militaire
Depuis le 2 septembre, les États-Unis procèdent à des frappes aériennes régulières dans le Pacifique et surtout dans les Caraïbes contre des bateaux qu’ils présentent comme appartenant à des trafiquants de drogue.
Le premier navire a été abattu le 2 septembre, causant la mort de 11 personnes, selon The Guardian. Une frappe qualifiée de « cinétique » par le président américain, qui a affirmé agir en légitime défense.
Caracas, de son côté, a aussitôt dénoncé une attaque illégale dans les eaux caribéennes et suspendu plusieurs projets énergétiques avec la Trinité-et-Tobago, accusée de soutenir tacitement la présence militaire américaine dans la région.
Ces raids qui aujourd’hui encore se poursuivent, car le 6 novembre dernier un nouveau raid américain a eu lieu, ont annoncé mercredi le ministre américain de la Défense Pete Hegseth. Cette nouvelle attaque porte le bilan de ces frappes à plus de 50 morts. Au total, le gouvernement de Trump a revendiqué la destruction de 18 embarcations, sans apporter de preuves liant l’équipage de ces navires et le narcotrafic.
Depuis l’été dernier, des bâtiments américains stationnent à proximité des côtes vénézuéliennes. Le 24 octobre, la Maison Blanche a ordonné le déploiement de leur plus grand porte-avions : « l’USS Gerald R. Ford » dans les Caraïbes, où sept navires de guerre étaient déjà placés, ainsi portant le nombre à 8, en vue de renforcer leur campagne anti-drogue.
De son côté, Maduro a placé ses forces en état d’alerte maximal, et annoncé le déploiement de 4,5 millions de miliciens face aux menaces américaines et aux annonces que des armes ont été testées.
Le droit international et les droits de l’homme se mêlent de la partie
Le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, a dénoncé vendredi 31 octobre des « exécutions extrajudiciaires ». Il révèle que la lutte contre le trafic de drogue relève du maintien de l’ordre et qu’en vertu du droit international et des droits de l’homme, le recours intentionnel à la force létale n’est autorisé qu’en dernier recours contre des individus qui représentent une menace imminente pour la vie.
Un peu plus avant, soit le 16 septembre, le rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extra-judiciaires, sommaires ou arbitraires, Morris Tidball-Binz, ainsi que deux autres experts de droit humain de l’ONU, ont conjointement publié une déclaration condamnant les premières frappes en tant qu’exécutions extrajudiciaires.
Selon l’organisation Human Rights Watch, le droit international humanitaire, qui régit la conduite des hostilités en cas de conflit armé, ne s’applique pas dans ce contexte. Selon eux, les États-Unis ne sont engagés dans aucun conflit armé avec le Venezuela, ni avec les groupes criminels présumés impliqués. Les gouvernements étrangers devraient condamner ces attaques, publiquement et en privé.
Diplomatie paralysée
Les tentatives de médiation semblent être au point mort. Selon Reuters, Washington a interrompu, début octobre, un canal diplomatique secret ouvert depuis 2023. L’ONU a exhorté les deux parties à la retenue, redoutant un engrenage militaire aux conséquences imprévisibles.
Lors de son premier mandat (2017-2021), Donald Trump a mené une politique de sanctions maximales contre le Venezuela. Depuis son retour au pouvoir, les relations entre Caracas et Washington se sont envenimées. Non seulement la Maison Blanche refuse de reconnaître la réélection de Nicolas Maduro en 2024, mais elle veut aussi la tête du président vénézuélien, puisqu’en août dernier, l’administration Trump a annoncé avoir doublé à 50 millions de dollars la prime pour l’arrestation de Maduro.
Au-delà d’un simple duel, les enjeux internationaux
Derrière ce bras de fer, les enjeux dépassent la seule rivalité bilatérale pour laisser profiler des rivalités géostratégiques. Si pour les USA, maintenir une présence navale dans les Caraïbes signifie conserver un levier d’influence stratégique face à la Russie et à la Chine qui soutiennent ouvertement Caracas, pour le Venezuela, il s’agit avant tout de défendre sa souveraineté, de renforcer ses liens avec le BRICS, et de rallier ses alliés régionaux autour d’un discours anti-impérialiste.
Entre vérité et prétexte
Selon Thomas Posado, maître de conférences en civilisation latino-américaine à l’université de Rouen, « le Venezuela n’est pas un pays de production de drogue » comme la Bolivie ou la Colombie. C’est un pays de transit, mais ce n’est pas la route majeure du transit de la drogue vers les USA ou l’Europe.
Toutefois, il a expliqué aux micros de BFMTV qu’aujourd’hui, c’est de préférence l’Équateur qui est utilisé comme plaque tournante par les narcotrafiquants pour distribuer de la drogue vers la Maison Blanche. Mais, il estime que l’Équateur ne va pas être visé en raison de l’alliance de son président avec Donald Trump.
Si les spécialistes estiment que le Venezuela n’est pas un pays clé du trafic de drogue en Amérique latine, alors pourquoi est-il dans le viseur de l’aigle ?





