La santé mentale en Haïti : un domaine négligé [1].

La santé mentale, domaine de la santé publique, recouvre un champ très large qui prend en compte les modalités de prise en charge de la souffrance psychique. À ce titre, les problèmes de santé mentale représentent un enjeu majeur dans le monde. Souvent réduits à la psychiatrie (approche médicale de la santé mentale), ces problèmes nécessitent toutefois une réponse pluridisciplinaire. D’après l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), une personne sur huit dans le monde présente un trouble mental, soit 970 millions de personnes en 2019 [2]. En Haïti, le problème est assez criant. En effet, l’on fait face à une carence aiguë de soins de santé mentale malgré la tentative des professionnels du champ essayant d’attirer l’attention des autorités sur l’ampleur de la question dans le pays. De ce fait, le manque de ressources, l’accès limité aux soins ainsi que la discrimination et la stigmatisation des personnes présentant des troubles mentaux caractérisent le phénomène de la santé mentale en Haïti.

C’est quoi la santé mentale ? Quels sont les facteurs favorisant son évolution ?

D’après l’OMS, la santé mentale se définit comme un « état de bien-être dans lequel la personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et fructueux et contribuer à la vie de sa communauté » [3]. En d’autres mots, la santé mentale fait partie intégrante de la santé et du bien-être en général. Dans cette perspective, elle renvoie à la capacité d’une personne à établir un équilibre dans les aspects physique, psychologique, spirituel, social et économique de sa vie. Ce qui sous-tend que la santé mentale n’est pas quelque chose de statique mais évolue à travers le temps. C’est-à-dire, c’est un état ou une situation chez la personne qui connait des hauts et des bas.

D’un autre côté, il existe des déterminants individuels, sociaux et structurels pouvant se constituer en facteurs de risque ou de protection capables de compromettre ou protéger notre santé mentale [4]. En fait, les facteurs de risque tels que la génétique, la pauvreté, la violence, le chômage ou encore les inégalités augmentent le risque de développer des problèmes de santé mentale. À l’opposé, les facteurs de protection comme les interactions sociales positives, un travail décent, un quartier sûr et une cohésion communautaire peuvent renforcer notre résilience et notre santé mentale. Une nuance à apporter par rapport à cela c’est qu’il n’est pas obligatoire de développer des problèmes de santé mentale lorsqu’on est exposé à des facteurs de risque. Également, il n’est pas nécessaire d’avoir une santé mentale positive [5] quand on est exposé à des facteurs de protection. Par exemple, l’exposition à des scènes de violence ne développera pas forcément des troubles post-traumatiques chez une personne, car cette dernière peut mobiliser des ressources pour surmonter cette situation difficile à travers un processus de résilience. Tout comme l’on n’est pas certain d’avoir et/ou de maintenir un équilibre psychique lorsqu’on habite un quartier sûr. En définitive, c’est la complexité des interactions entre les différents facteurs internes et externes qui renforcent ou compromettent notre santé mentale.

En quoi les problèmes de santé mentale peuvent compromettre le bien-être des personnes ?

L’on a souvent tendance à réduire les problèmes de santé mentale exclusivement aux troubles mentaux. Autrement dit, pour beaucoup de gens, il suffit de ne pas être diagnostiqué d’un trouble mental pour affirmer qu’on a une bonne santé mentale. Rien n’est plus faux ! Sur ce, les troubles mentaux ne sont qu’un aspect des problèmes de santé mentale. À part les troubles mentaux, il y a les handicaps psychosociaux ainsi que d’autres états mentaux associés à un sentiment de détresse, une altération du fonctionnement ou un risque de comportement auto-agressif. Alors, parmi ces troubles et ces états mentaux, l’on peut mentionner les troubles anxieux, les troubles de l’usage des produits toxiques (alcool, drogues, médicaments), la dépression, les troubles post-traumatiques, les troubles de l’alimentation, les troubles bipolaires, les troubles neurodéveloppementaux ou encore les comportements perturbateurs dyssociaux [6].

Tous ces troubles présentent des traits et des symptômes spécifiques. D’une manière générale, ces troubles peuvent avoir des conséquences néfastes sur la santé et le bien-être des gens. Entre autres, une personne dépressive présente une humeur attristante caractérisée par une perte de plaisir ou d’intérêt pour les activités, presque tous les jours, pendant la majeure partie de la journée, pendant plusieurs semaines. Il y a également de fortes chances pour que cette personne se dévalorise et se culpabilise tout le temps. Elle peut également présenter des difficultés de concentration et un manque d’énergie, avoir un sentiment de désespoir face à l’avenir ou encore un sommeil perturbé. Les personnes dépressives sont très exposées au risque de suicide.

 Le poids des troubles mentaux dans la charge totale de morbidité ne fait qu’augmenter ces dernières années dans le monde. À l’heure actuelle, les problèmes de santé mentale occupent une place vitale dans les problèmes de santé publique, à côté des maladies cardiovasculaires et les cancers. De plus, ils entraînent d’importantes conséquences économiques et sociales pour l’individu et l’ensemble de la société [7]. La perte d’emploi, la stigmatisation, la baisse de la qualité de vie ou encore la discrimination constituent bien des exemples parmi tant d’autres.

Le phénomène de la santé mentale en Haïti.

L’un des plus grands défis d’Haïti est le manque d’accès aux soins de santé mentale. D’après la Plate-forme des Organisations Haïtiennes des Droits Humains (POHDH), le problème de la santé mentale en Haïti est négligé et ignoré par les gouvernements [8]. En effet, le pays ne dispose pas d’une politique de santé mentale planifiée en rapport aux besoins de la population. À titre d’exemple, 4,5% du budget national a été affecté au MSPP avec moins de 1% attribué à la santé mentale en 2021 [9].

Au niveau des structures et des services offerts dans le domaine, il existe deux (2) institutions publiques neuropsychiatriques dans le pays à savoir l’Hôpital Defilée de Beudet et le Centre hospitalier universitaire Mars et Kline qui se trouvent malgré cela dans un état de délabrement accompagné d’un manque de traitements et de suivi communautaire. Par conséquent, malgré l’implication des organisations internationales, des ONG et d’autres organismes du secteur privé dans la prestation des services de santé mentale, l’accessibilité des services à travers le pays reste encore très limitée.

En outre, à part le manque chronique de ressources financières et matérielles, il y a également une carence importante de ressources humaines, c’est-à-dire des professionnels ayant des compétences dans ce domaine dans le pays. D’après un rapport publié en 2011 par l’Instrument d’Évaluation du système Santé Mentale (IESM) conçu par l’OMS, le pays ne comptait en moyenne que 0,38 infirmière et 0,86 travailleur social pour 100.000 habitants. Plus récemment, toujours d’après l’OMS, on comptait moins d’un psychologue ou d’un psychiatre pour 100.000 haïtiens en 2016 [10].

Aussi, la violence généralisée, les conditions socio-économiques précaires du pays et les troubles politiques constituent des facteurs de risque importants. D’après les spécialistes, ces situations provoquent de graves conséquences sur la santé mentale des haïtiens. Plus précisément, l’exposition à des actes de violence, à des cas d’enlèvement, de séquestration ou de massacre a créé des traumatismes et des psychoses de peur engendrant ainsi des perturbations psychologiques chez la population haïtienne tels que le stress chronique, la dépression ou encore des idées suicidaires.

Un autre fait important à souligner concerne la stigmatisation et les attitudes discriminatoires affichées à l’égard des personnes qui présentent des problèmes de santé mentale. En Haïti, avoir des troubles psychiques, c’est être exposé à l’abandon, à l’isolement comme s’il n’y avait plus d’espoir. De ce fait, un traitement psychiatrique peut provoquer une attitude de mise à l’écart d’une personne de la part de ses amis, de sa famille ou de ses voisins. Par ailleurs, la maladie mentale est souvent associée à une force surnaturelle, à un sort [11]. Dans cette lignée, pas mal de gens se tournent vers des prêtres vodou pour aller chercher de l’aide car ces gens font davantage confiance aux prêtres qu’aux médecins et aux scientifiques. Pour certains, le manque d’accès aux soins ou encore la capacité limitée des institutions spécialisées dans la prestation de services à prendre en charge les personnes présentant des problèmes de santé mentale constituent l’une des principales raisons de cet état de fait.

En somme….

Le domaine de la santé mentale ne relève pas exclusivement du domaine de la santé. En ce sens, le concours d’autres secteurs s’avère nécessaire. Compte tenu du manque criant de ressources humaines, financières et matérielles dans le domaine de la santé mentale en Haïti, il est plus qu’important de mettre en place des politiques publiques de santé mentale et des dispositifs législatifs adaptés aux besoins de la population. Cela passe non seulement par la création et le renforcement des centres et des hôpitaux fournissant des soins psychiatriques mais également des structures spécialisées dans le soutien psychosocial. De plus, il est également primordial de former plus de professionnels en santé mentale (pas que des professionnels dans le domaine médical) notamment des psychiatres, des psychologues, des travailleurs sociaux, des éducateurs spécialisés… tout en sensibilisant la population sur l’importance et l’efficacité de ces professionnels dans le traitement des problèmes de santé mentale.

En ce qui a trait à la stigmatisation et la discrimination des personnes ayant des troubles mentaux, il est important d’informer et de sensibiliser le grand public sur la nécessité de comprendre que les problèmes de santé mentale peuvent affecter chacun d’entre-nous et que toutes les personnes peuvent se rétablir d’un trouble psychique, ne serait-ce que partiellement, et cela d’autant plus que le système de santé répond mieux aux besoins de ces personnes. Il faut également travailler sur les comportements et les attitudes de la population envers ces personnes tout en mettant l’accent sur les conséquences sociales et économiques que peuvent provoquer les problèmes de santé mentale. Ainsi, les interventions en matière de promotion, de prévention et de prise en charge concernant le domaine de la santé mentale requièrent un travail de coordination et de collaboration impliquant plusieurs secteurs et acteurs de la société.

Wesley Pidno PIERRE,
étudiant mémorant en Service Social à l'UEH
Notes

[1]   POHDH. Santé : Situation déplorable dans le secteur de la santé mentale. HaitiLibre. 4 juin 2012.

[2]  Voir Organisation Mondiale de la Santé (OMS), Troubles mentaux. 8 juin 2022.

[3] Voir Organisation Mondiale de la Santé (OMS), Santé mentale : Renforcer notre action. 17 juin 2022.

[4]  Ibid.

[5]  La santé mentale positive réfère à un état de bien-être, un sentiment de bonheur, à des caractéristiques de la personnalité (capacité de faire face aux difficultés, optimisme, résilience, estime de soi, impression de maîtriser sa vie). C’est donc un état positif, d’équilibre et d’harmonie. Voir Machado Tony. La prévention des risques psychosociaux. Presses Universitaires de Rennes. 2015.

[6]  OMS (2022), op.cit.

[7] LAMBOY, Béatrice. La santé mentale : état des lieux et problématique. Santé Publique. Vol. 17, p 583 à 596, 2005.

[8]  POHDH, op.cit.

[9] Voir Zanmi Lasante, Un modèle communautaire complet pour la prestation des services en santé mentale. 2021.

[10]  BOLIVAR, Anne Myriam. Maladie mentale : des haïtiens se tournent vers le vodou pour remède. Global Press Journal. 29 septembre 2021.

[11]  PIERRE Andrena, MINN Pierre et al. Culture et santé mentale en Haïti: une revue de littérature. Revue Santé mentale au Québec. Vol 35, no 1. 2010.

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