Si aujourd’hui le débat autour des droits humains s’intensifie de plus en plus, ces derniers ne sont pas pour autant un pur produit de la modernité. En effet, plusieurs textes ont, avant la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, tenté de placer l’être humain au centre des préoccupations juridiques dans le but de le protéger. On peut citer entre autres : le Cylindre de Cyrus en perse en 539 av JC, la charte du Mandén en Afrique, proclamée à Kouroukan Fouga au XIIIème siècle[1] , la Magna Carta en 1215, l’Habeas Corpus en 1679, le Bill of right en 1689, la Déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique le 4 juillet 1776 et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Tous ces textes ont voulu protéger l’humain mais dans un cadre restreint de citoyenneté. Et c’est là tout le mérite de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH ).
« La DUDH de 1948 marque à cet égard, une nouvelle étape dans l’histoire des droits de l’homme, en leur conférant une valeur et une portée universelle, et en les plaçant sous la protection de la communauté internationale ».[2] L’être humain est devenu un citoyen du monde. Si les textes d’avant avaient des limites géographiques, l’idéal de la DUDH est de reconnaître l’égalité entre tous les êtres humains et que cet idéal devrait être applicable à tous.
D’ailleurs, l’article premier est assez révélateur : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. ». On ne peut parler de droits humains sans penser à toute l’humanité. Il ne s’agit plus d’un homme X ou d’une femme Y, mais plutôt de la dignité humaine, inhérente à chaque individu et dont l’État a le devoir de respecter.
Les textes liés au respect des droits fondamentaux proposés par les instances de l’ONU sont universels. Toutefois, ils sont applicables aux pays membres de l’ONU les ayant ratifiés. Ces textes appelés traités ou conventions internationales sont reconnus par plusieurs constitutions dont celle d’Haïti en son article 276.2 qui prévoit que « Les traités, ou accords internationaux, une fois sanctionnés et ratifiés dans les formes prévues par la constitution, font partie de la législation du pays et abrogent toutes les lois qui leur sont contraires ».[3]
Si la deuxième guerre mondiale a été à l’origine du principe des droits fondamentaux de l’homme dans le but d’éviter les atrocités de la guerre et empêcher les victimes de masse (exterminations, discriminations, homophobie, génocide…), l’universalisation de ces droits se fonde sur deux principes essentiels :
- Le principe de la dignité humaine et de l’égalité entre les humains.
- Le principe des caractéristiques sacrées des droits fondamentaux : inhérents, indivisibles et inaliénables.
1. Le principe de la dignité humaine et de l’égalité entre les humains.
La charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne au titre premier pose le principe de la dignité. En son article premier il est dit que « la dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée. »[4] La dignité de la personne humaine n’est pas seulement un droit fondamental en soi, mais constitue la base même des droits fondamentaux. La DUDH a aussi mentionné la dignité dans son premier article. Elle est donc le socle des droits fondamentaux qui permet l’universalisation des droits, dans la mesure où elle est présente en chacun de nous.
La dignité humaine confère à toute vie humaine une dimension à la fois morale et politique. Elle est donc l’apanage de tout être humain et interdit alors toutes formes de discriminations ou d’exclusion. La reconnaissance de la dignité humaine s’oppose dès lors à tout traitement indigne de l’homme indépendamment de son sexe, de sa race, de sa culture, de son idéologie politique. « La dignité humaine est le respect fondamental, inconditionnel et identique dû à tout être humain du fait qu’il est humain, indépendamment de ses différences. La dignité humaine comprend le respect physique et le respect psychologique des êtres humains, ainsi que le respect de l’intégrité morale. »[5] La définition d’Harvey Chochinov de l’Université de Manitoba au Canada est aussi très intéressante « la dignité, dit-il, c’est la façon dont je me vois dans vos yeux ».[6]
Le principe d’égalité autant que la dignité est lié à celui de la non-discrimination. L’égalité des sexes et de genre est mentionnée dans le préambule de la constitution du 29 mars 1987 amendée le 9 mai 2011. Il dispose vouloir « assurer aux femmes une représentation dans les instances du pouvoir de décision qui soit conforme à l’égalité des sexes et à l’égalité de genre.» [7] L’article 4 reconnaît aussi notre devise nationale « liberté, égalité, fraternité ». L’article 17 de ladite constitution en disant que « les Haïtiens sans distinction de sexe et d’état civil, âgés de dix huit (18) ans accomplis peuvent exercer leurs droits civils et politiques s’ils réunissent les autres conditions prévues par la constitution et par la loi », consacre l’égalité civile et politique entre tous les Haïtiens.
La notion d’égalité protégée par la constitution et par de nombreuses conventions a connu des évolutions dans sa conception surtout avec la prise en compte des groupes minoritaires. En effet, l’égalité suppose que la loi soit la même pour tous.tes. L’égalité revenait donc à une uniformité des normes légales et de traitements similaires. En revanche, elle doit considérer aujourd’hui le bien être de toutes les catégories sociales ayant des besoins différents. Elle permet donc des traitements adaptés d’où le concept de discrimination positive.
« Or, l’égalité des droits et l’égalité réelle ne vont pas nécessairement de pair. Si la loi est la même pour tous, elle risque de conforter les inégalités sociales au lieu de les supprimer. Mais, si à l’inverse le droit tient compte de ces inégalités pour tenter de les atténuer, il n’est plus formellement égalitaire. »[8] Par conséquent la notion d’égalité se voit remplacer par celle d’équité qui suppose de bannir l’égalité formelle et de créer l’égalité en fait.
2. Les principales caractéristiques des droits fondamentaux : inhérents, indivisibles et inaliénables.
Les droits humains n’acceptent aucune violation ni aucune limite. Leurs caractéristiques sont claires et n’ont pour but que leur protection. Les droits de l’Homme appartiennent d’abord à chacun de nous. Tout être humain a des droits que l’Etat doit garantir. Si l’État doit garantir le respect des droits, l’exercice de ces derniers doit se faire dans le respect des droits d’autrui. C’est à la fois un rapport entre gouvernants et gouvernés et entre gouvernés eux-mêmes.
L’inhérence traduit l’existence nécessaire des droits en chaque être humain. Ces droits ne sont pas conférés, ils existent en nous de part notre humanité. Nous les avons pour une seule raison : nous sommes humains. L’inhérence des droits humains est rattachée à leur caractère universel. Tous les êtres humains ont des droits, indépendamment de leurs sexes, nationalités, origines nationales ou ethniques, cultures, religions, couleurs, langues ou orientations sexuelles.
Ils sont inaliénables, c’est-à-dire qu’aucun être humain ne peut volontairement renier ses droits ni en priver un autre d’eux. Les droits humains sont indivisibles et interdépendants. D’abord, il n’y a pas de hiérarchie entre les droits humains. Il n’y a pas de droits plus importants qu’un autre.
Ensuite, les droits sont intimement liés. La violation d’un droit a des conséquences sur un ou plusieurs autres. Par exemple, la violation du droit au logement, impactera nécessairement le droit à la santé, tout comme celle du droit à l’éducation influencera le droit au travail. Il n’est pas possible de jouir pleinement d’un droit sans que les autres soient garantis. Il faudra donc retenir par ces caractéristiques que les droits humains sont l’apanage de chaque être humain et qu’ils sont intimement liés. Les droits humains sont inhérents, indivisibles et inaliénables. Ces attributs leur confèrent un aspect sacré et intouchable.
En somme, l’Etat a des obligations en matière de droits humains. Ces obligations ne concernent pas seulement les droits évoqués dans la DUDH, mais notamment le Pacte international relatif aux Droits civils et politiques de 1966 et celui relatif aux droits économiques sociaux et culturels (PIDESC) de la même année et leurs protocoles facultatifs. De nombreuses conventions, plus spécifiques (liées aux femmes, enfants, apatrides…) sont ratifiées à travers le monde dans le but de protéger les droits humains.
Les constitutions, si elles ont pour but de réglementer le pouvoir politique, consacrent des chapitres sur les droits humains. « Les trois types d’obligations de l’Etat constituent le corollaire des droits humains : l’obligation de respecter, l’obligation de protéger et l’obligation de garantir et de donner effet. »[9] Il est aussi intéressant de mentionner que le concept même de « Droits de l’homme » cité par la grande DUDH est remis en question et que de nombreuses structures, institutions préfèrent parler de droits humains ou de droits de la personne. En effet, droits de l’Homme, qu’on le veuille ou non fait penser à l’exclusion systématique de certaines qui n’ont pas été oubliées mais volontairement exclues.
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[1] Ich.unesco.org, La charte du Mandén, proclamée à Kouroukan Fouga
[2] Les droits de l’Homme, Danièle Lochak, troisième édition
[3] Constitution de la république d’Haïti de 1987, amendée le 9 mai 2011 ; éditions Fardin Août 2012
[4] Fra.europa.eu, La Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne
[5] grainesdepaix.org, Dignité humaine.
[6] Idem
[7] Préambule de la constitution haïtienne
[8] Les droits de l’homme, Danièle Lochak, Troisième édition
[9] humanrights.ch, Les obligations des États en matière de droits humains, 23.05.2019
Merci pour cet article.