Parce que ni la rationalité ni la morale n’empêchent la violation des lois pénales, toute société a  un code qui prévoit non seulement les modes de sanctions  mais  aussi une procédure impliquant d’avance les procédés conduisant à un jugement. Les mineurs ne sont pas exempts des comportements déviants et jugés antisociaux. Par contre, en raison de leur âge et du fait qu’ils sont manipulables, non imprégnés totalement des valeurs morales, ils sont soumis à des traitements spécifiques permettant toutefois de passer outre ces mesures suivant la personnalité du jeune fautif.

La loi du 7 septembre 1961 instituant des tribunaux spéciaux pour enfants reconnaît la responsabilité pénale à 13 ans. Donc la catégorie des mineurs en conflit avec la loi en Haïti  va de 13 ans à 16 ans. Notre réflexion consiste à comprendre l’implication des droits humains dans la justice pénale des mineurs en Haïti. Leur gestion, étant  l’application de la législation en vigueur, nécessite la considération des droits fondamentaux du mineur pendant tout le processus. L’implication des droits humains en droit pénal revêt deux aspects majeurs :           

– D’abord, la légalité des traitements infligés au jeune prévenu. C’est-à-dire, le respect de la législation en vigueur, des prédispositions légales (respect de la procédure, célérité, preuves, audition des témoins à charge et à décharge, mandat, procès équitable, etc.).

–  Puis, le fondement des dispositions légales sur les principes axiomatiques des droits humains basés sur la dignité humaine. Il s’agit avant toute chose de traiter un individu avec humanité, quand bien même, il serait en contravention avec la loi.

I- La légalité des traitements et de la procédure

La législation des mineurs en conflit avec la loi comprend à la fois prévention, protection et la sanction à laquelle peut être soumis l’enfant. La prévention, faite en amont, occupe une place prépondérante en droit pénal des mineurs puisqu’elle permet de protéger les enfants vulnérables susceptibles d’enfreindre la loi. La protection de l’enfant suppose une prise en charge axée sur son bien-être supérieur, prenant en compte sa rééducation.

La légitimité d’un État à réprimer réside dans sa capacité à sanctionner les violations dans le strict respect de la procédure judiciaire pénale et sans porter atteinte à la dignité de la personne qu’il punit. L’État doit pouvoir respecter les lois qu’il s’est fixé. Dans le cadre de gestion des infractions commises par des mineurs, l’État a l’impérieuse  obligation de non seulement prendre des lois capables de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant  tout en conservant la cohésion sociale, mais aussi de les respecter. Les instruments juridiques nationaux  fixant la gestion des mineurs en conflit avec la loi ne sont pas très nombreux. Il est intéressant de noter aussi leur désuétude puisqu’ils ne correspondent plus à la réalité que nous vivons. La Loi du 7 septembre 1961, instituant des tribunaux spéciaux pour enfants et le décret du 20 novembre 1961 instituant le Tribunal pour enfants, constituent le socle du droit pénal des mineurs en Haïti.  « Les mineurs ne peuvent être déférés aux juridictions pénales de droit commun mais au tribunal pour enfants, la cour d’assises des mineurs et le tribunal de simple police siégeant  en audience spéciale ».[1]

Il est nécessaire que le processus soit légal, c’est-à-dire, conforme aux lois régissant la matière. La précarité économique, la corruption, la lenteur judiciaire et l’incompétence sont autant d’éléments qui obstruent une application stricte de la procédure pénale. Il est, par exemple, inadmissible que des mineurs se retrouvent en prison sans accès à l’éducation, en situation de détention préventive prolongée malgré la célérité que requiert leur cas, ou en cellule avec des personnes majeures. L’article 11 de la Loi du 7 septembre 1961 instituant des tribunaux spéciaux pour enfants, prévoit qu’ « un juge pour enfants sera délégué devant la juridiction de chaque Tribunal Civil. Ce magistrat fera les diligences nécessaires en vue de parvenir à la manifestation de la vérité, à la connaissance de la personnalité du mineur et les moyens appropriés à sa rééducation[…] Il recueillera au moyen d’une enquête réalisée sur sa réquisition par les services sociaux compétents, tous renseignements utiles quant à la situation matérielle et morale de la famille, aux caractères et antécédents du mineur, à sa fréquentation scolaire, à son attitude en classe et aux conditions dans lesquels il a vécu ou a été élevé. Il ordonnera un examen médical et s’il y a lieu un examen médico-psychologique. »[2]  Ce qui est tout le contraire de la réalité du traitement des cas des mineurs. Il est aussi crucial de signaler l’inexistence des centres de rééducation au niveau des différents départements géographiques du pays. L’article 44 exige que les fonctionnaires attachés aux centres d’éducation corrective veillent à ce que ces mineurs obtiennent à leur libération un diplôme ou un certificat d’aptitude professionnelle délivré sans frais et sans aucune mention pénitentiaire. Autant de dispositions pouvant aider à la réinsertion de ces jeunes mais qui ne sont point appliquées.

II- Le fondement des dispositions légales sur les principes axiomatiques des droits humains basés sur la dignité humaine.

Si l’État doit respecter les instruments juridiques régissant les infractions commises par des mineurs, il s’avère être extrêmement important que ces instruments juridiques ne violent pas les droits fondamentaux de ces jeunes. Le respect de la dignité du prévenu, dans le contexte d’émergence des droits de l’Homme, se voit occuper une place majeure en droit pénal. L’objectif premier des centres de rééducation pour enfants n’est pas de punir, mais bien de réinsérer afin de réduire les risques de récidive et  préserver la cohésion sociale. Donc, celle-ci se fera inévitablement  par la réinsertion. Ce qui ne traduit pas une négation du vécu de la partie victime qui a tendance à croire qu’elle fait partie intégrante de la société et le prévenu non.

De nombreuses conventions s’érigent en garde fou contre d’éventuels abus des droits des détenus. La Convention Internationale Relatif aux Droits de l’enfant de 1989, ratifiée par Haïti en 1994[3] peut être considérée comme la base des instruments juridiques internationaux liés au respect des droits de l’enfant en Haïti. Cette convention exige que les méthodes de gestion des infractions commises par les mineurs  ne violent pas leur  humanité  caractérisée par la dignité et le respect de leurs droits. «  Les  États parties reconnaissent à tout  enfant suspecté, accusé ou convaincu d’infraction à la loi pénale le droit à un traitement qui soit de nature à favoriser son sens de la dignité et de la valeur personnelle, qui renforce son respect pour les droits de l’Homme et les libertés fondamentales d’autrui, et qui tienne compte de son âge ainsi que de la nécessité de faciliter sa réintégration dans la société et de lui faire assumer un rôle constructif au sein de celle-ci. »[4] Non pas punir, mais  réinsérer. La protection de l’enfant doit être au centre de la justice pénale des mineurs. Cette dernière ne marche pas d’ailleurs sans des institutions de prévention pouvant encadrer les enfants vulnérables et/ou susceptibles de la commission des infractions.  D’où l’importance de la Brigade de Protection des Mineurs ou de l’Institut du Bien-être Social et de Recherches (IBESR).

La gestion des mineurs en conflit avec la loi à travers la Convention citée nous fait les exigences suivantes :

– Le mineur ne peut être puni pour des actions non interdites au moment de leur commission.

– Il est présumé innocent.

– Il est informé dans le plus court délai des accusations portées contre lui.

– Il ne peut être contraint de témoigner ou de s’avouer coupable.

– Sa vie privée doit être respectée.

– Un  âge minimum de la responsabilité pénale doit être fixé.

– La création d’institutions  de prévention et de réinsertion.

– La capacité de traiter les enfants sans recourir à la procédure judiciaire.

Le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques, ratifié par Haïti en janvier 1991 en son article 10 prescrit que :

« Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité humaine. »[5]

Il exige que le jeune en conflit avec la loi soit séparé des adultes, qu’il soit soumis à un régime approprié à son âge et son statut légal et qu’on décide de son cas aussi rapidement que possible.

Le respect des droits du mineur accusé, celui de la procédure ainsi que la prise en compte des conventions internationales de protection de l’enfance participent largement dans sa réhabilitation et la sauvegarde de la cohésion sociale. L’adolescent  fautif n’est pas toujours le seul coupable ; il y a souvent d’autres facteurs/ acteurs à considérer. C’est pour cela que dans le domaine de gestion des mineurs en conflit avec la loi, il faut grandement considérer le travail de protection et de prévention dans les espaces de socialisation. L’aspect de la réhabilitation du jeune qui viole la loi doit être le but ultime de la justice pénale des mineurs. « La réinsertion, ce n’est rien d’autre que laisser le temps à la chenille de devenir papillon. »[6]


[1] Article 2 de la Loi du 7 septembre 1961 instituant des tribunaux spéciaux pour enfants.

[2] Article 11 de la Loi du 7 septembre 1961 instituant des tribunaux spéciaux pour enfants

[3] Unicef.org La convention relative aux droits de l’enfant fête ses  30 ans

[4]  Convention Internationale relative aux droits de l’enfant, article 40

[5] Article 10 du PIDCP

[6] Carnet de notes (2001) de Patrick Sébastien

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