Conformément au calendrier scolaire 2025 – 2026 établi par le Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP), le 01 octobre 2025 a marqué le lancement de l’année académique. Sur l’ensemble du territoire d’Haïti, des milliers d’élèves et de membres du corps enseignant se sont retrouvés sur les bancs de l’école et au sein des salles de classe.
Pour les élèves, c’est l’occasion de franchir une nouvelle étape, de découvrir de nouvelles matières et de retrouver leurs camarades. Pour les enseignants et le personnel éducatif, c’est le moment de mettre en œuvre les programmes, d’accueillir les élèves et de créer un environnement propice à l’apprentissage et au développement des compétences.
Nous avons rencontré des enseignants d’établissements publics afin de recueillir leurs impressions sur ce début d’année scolaire. Notre objectif était de mieux comprendre les défis auxquels ils sont confrontés et d’évaluer le climat social au sein des classes et des établissements en ce début d’année.
Les avis des enseignants
Les enseignants nous ont accueillis dans un climat de confiance et de franchise, partageant volontiers leurs avis.
Au Lycée Pinchinat de Jacmel, les activités reprennent progressivement et l’établissement est « en train de repartir sur une nouvelle base », selon Monsieur Fritznerson Thésard, professeur de méthodologie littéraire. Il observe toutefois que la fréquentation était faible durant les deux premières semaines, avant de « plus ou moins s’améliorer ». Ce retour en classe revêt une importance particulière, car les élèves avaient été contraints de vivre sous des tentes durant l’année académique précédente. Ce n’est qu’à la mi-août 2025, juste avant l’ouverture officielle, que le bâtiment physique du lycée a été réhabilité pour les accueillir.
Cependant, l’optimisme est plus mesuré dans d’autres établissements. À l’École Nationale Jacob Martin Henriquez (JM Henriquez), l’institutrice Marie José Saint Louis a fait état d’un faible effectif, notant un manque d’élèves même après trois semaines.
Madame Saint Louis a rapidement mis en lumière un manque de préparation au niveau du Ministère par rapport à cette ouverture :
« Il est vrai que le Ministre a lancé l’ouverture pour le 01 octobre 2025, mais en réalité, même le Ministre n’était pas prêt pour l’ouverture des écoles parce qu’il a promis des mesures d’accompagnement et jusqu’à présent, rien de véritable n’a été fait. »
Elle insiste sur le fait que la présence des professeurs n’est que le fruit de leur bonne volonté, car ils n’ont pas reçu leur « quatorzième mois » comme promis. L’enseignante ajoute : « On nous a promis un chèque à la place d’une carte, mais ce ne sont que des paroles en l’air. On nous demande d’apporter des papiers mais rien n’a été réglé. »
Un cri d’alarme sur le rôle de l’État
D’autres enseignants ont partagé leurs impressions sur ces premières semaines, exprimant une vive inquiétude à travers leurs témoignages.
Pour illustrer la situation, le professeur Wid François, enseignant au niveau du 2ème cycle à l’École Nationale Roger DELMAS, a affirmé sans équivoque : « L’État haïtien a failli dans sa mission d’éducation. » Il poursuit en affirmant qu’habituellement, lors des premiers jours de classe, l’État s’organisait pour aider les élèves dont les parents sont les plus démunis. Or, cette année, cela n’a pas été le cas :
« On ne voit pas la présence de l’État à l’ouverture de l’école, ce qui explique que seuls les parents capables envoient leurs enfants à l’école. Et nous aussi, comme enseignants, si nous n’avions pas cette tâche sur notre dos, on s’assiérait chez nous sans se rendre en salle de classe, car l’État ne nous a pas mis en mesure pour que l’on puisse se rendre en salle de classe. »
L’état mental des élèves à la rentrée et le défi de la continuité pédagogique
Concernant la disposition mentale des élèves pour la rentrée scolaire 2025-2026, l’enseignant Onel Jean Louis de l’École Nationale Roger DELMAS a souligné les difficultés uniques d’Haïti. Il affirme que les enfants endurent énormément de difficultés, à tel point que, lorsqu’ils reviennent en classe, c’est comme s’ils avaient passé une année sans se rendre à l’école.
« Les enfants, non seulement endurent des difficultés, [mais] durant les vacances, les parents n’ont pas eu de possibilités pour les aider à se remettre sur une piste. L’enfant devrait avoir un renouvellement de connaissances pendant les vacances, malheureusement cela ne peut se faire parce que les parents pensent à la réouverture de l’école, ce qui est très dur pour eux », explique le professeur Onel. Sur le plan mental, il estime que l’on doit pratiquement recommencer de zéro avec l’enfant.
La problématique des matériels didactiques et le manque de soutien de l’État
Le problème des matériels didactiques est en partie ce qui explique le manque de préparation de cette année. Les enseignants sont obligés de travailler avec le peu de ressources dont ils disposent pour assurer un minimum, comme l’indique le professeur Wid François, selon qui : « l’État n’assume pas ses responsabilités ».
Enseignante à JM Henriquez (une école qui figure parmi les plus anciennes écoles publiques du département du Sud-Est), Madame Saint Louis précise que c’est à l’État de fournir les matériels aux élèves, et qu’elle n’a, jusqu’à présent, rien reçu pour ses élèves. « Nous nous organisons pour travailler avec les élèves avec les faibles moyens dont nous disposons », dit-elle. Elle donne l’exemple d’avoir passé beaucoup de temps à écrire des textes dans les cahiers de chaque élève pour qu’ils lisent chez eux, car « l’État ne leur a pas encore donné les livres qu’il devait leur donner ».
Disparités dans la planification et l’organisation de la rentrée
Des efforts d’organisation sont toutefois observés dans certaines institutions. Au Lycée Pinchinat de Jacmel (récemment réhabilité), le nouveau directeur a organisé, avant l’ouverture des classes, une réunion de planification. Le professeur Fritznerson Thésard souligne que des points ont été mis sur la discipline, les démarches académiques et tout ce qui permettra au lycée de « tenir ce que l’on appelle la notoriété » et de s’engager sur une « route positive ».
Cependant, dans certaines écoles, comme c’est le cas à l’École Nationale Roger DELMAS, la disparité est frappante. Selon le professeur Onel Jean Louis, il n’y a jamais eu de planification, ni de la part de l’administration de l’institution, ni des responsables de l’éducation. « Personne n’est venu s’asseoir avec nous pour parler de la manière dont nous, en tant qu’enseignants, allons aborder cette nouvelle année scolaire et exposer nos besoins, exposer les problèmes que nous sommes susceptibles de rencontrer au cours de cette année », déplore-t-il.
Un double appel à la résilience et à l’engagement
Le tableau dépeint par ces enseignants met en lumière un début d’année marqué par le manque de ressources et l’absence de planification. Face à ce constat, les voix des interviewés, loin de sombrer dans le désespoir, se sont transformées en un double appel vibrant adressé d’abord aux parents, puis à leurs collègues enseignants.
Pour les parents, l’institutrice Marie José Saint Louis a formulé un plaidoyer essentiel : elle les exhorte à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour garantir la présence de leurs enfants à l’école, malgré les difficultés contextuelles. Son message est clair : la connaissance est le meilleur héritage qu’un parent puisse transmettre, une valeur inestimable qui transcende de loin les biens matériels.
Envers leurs collègues enseignants, le message est empreint de solidarité et de réalisme. Le professeur Wid François a courageusement souligné la lourdeur et le manque de reconnaissance de leur métier en Haïti. Il rappelle que la profession est l’une des moins valorisées et des plus mal payées. Son encouragement final est un appel à la résilience collective : il demande aux enseignants de « se tenir la main » et de continuer à donner le maximum avec le peu qu’ils ont, jusqu’à l’atteinte de l’âge de la retraite.
Ainsi, le message final des enseignants interviewés est une puissante exhortation à la responsabilité partagée : les parents doivent prioriser l’éducation, et les professeurs doivent faire preuve d’une détermination inébranlable en dépit de l’adversité, portant à bout de bras l’avenir des jeunes écoliers.