Il faut être attentif pour entendre le dernier soupir d’un arbre qui tombe. Mais ceux qui l’ont écouté savent que la chute d’un mapou résonne bien au-delà du visible, qu’elle inscrit son écho dans la mémoire du temps.
Jean-Pierre Basilic Dantor Franck Étienne d’Argent, dit Frankétienne, s’en est allé le 20 février 2025. Lui qui écrivait sur la « chute » et le « chevauchement », lui qui vivait en état de poésie permanente, les veines pleines d’étoiles et le verbe en spirale. De son vivant, je l’avais d’abord découvert dans une anthologie secrète des Éditions Mémoire, un ouvrage qui s’agenouillait devant son mythe. Puis, une ou deux fois, je l’ai croisé sur l’avenue Christophe, où il venait voir des médecins. À cette époque, je n’étais pas encore dans l’écriture, seulement dans la lecture. Mais le temps a passé, et Franck a été murmuré pour le Nobel. Son théâtre, son engagement, sa parole, tout en lui portait l’ironie nécessaire pour déjouer la vie. Il se moquait de lui-même avant que les autres ne s’en chargent. Une ironie éclatante, qui révélait le pays autrement, qui nous forçait à nous y voir autrement.
il y a Ultravocal, une espèce de Chant de Maldoror caribéen, comme disait Yanick. « Dezafi », « Pèlentèt », adaptation de “Les Émigrés” de Mrożek, demeure un classique. Ses œuvres ne se lisent pas, elles se vivent, elles respirent à travers nous. Franck portait dans sa chair les douleurs humaines : celles de la dictature des Duvalier, celles du règne de la terreur qui, aujourd’hui encore, tranche l’âme et le pain quotidien. Alors il a créé un mouvement pour fuir, mais aussi pour rester. Un mouvement presque perpétuel, une dynamique du souffle, une pensée géométrique où l’homme et le mot deviennent particules d’un même chaos. Il parlait de cela, souvent, dans ses entretiens. Il vivait comme ses livres : libre, scandaleux, irréductible, rieur devant « les crétins intoxiqués d’idéologie mielleuse ».
Quoi qu’on dise, Franck, tu n’es pas mort. Pas à mes yeux du monde. Ici, la mort n’est qu’un passage, un chapitre tourné vers un autre récit. Et je garde en moi cette vérité qui fait de toi un véritable Legba : « Le livre, ivre et libre, ira plus loin que la fiction et le dire narratif ». Ainsi soit-il, poète.