© Pierre Fromentin/MSF

L’interdépendance des Droits fondamentaux traduit l’impact que la garantie ou la violation d’un droit humain a forcément sur les autres. Par exemple, quand le droit à l’éducation est garanti, les citoyens peuvent plus facilement participer à la vie politique de leur communauté.  De même, quand le droit au logement ou à l’alimentation sont bafoués, les gens sont enclins à avoir des problèmes de santé. Les États doivent être conscients de la nécessité de garantir chacun des droits fondamentaux comme un tout, d’autant que les citoyens doivent être hostiles à chaque violation.

La première chose à dire est que l’insécurité que nous connaissons est entre autres la résultante de mauvais traitements et de violations systématiques des Droits fondamentaux. Plusieurs zones construites en dehors des normes d’urbanisation,  ou  après des catastrophes naturelles comme le tremblement de terre du 12 janvier 2010 qui nous donne Canaan, deviennent souvent des espaces abandonnés par l’État sans accès aux services publics. Les jeunes de ces quartiers en raison de leur vulnérabilité et leur milieu social peuvent plus facilement tomber dans la délinquance. Mais notre objectif ici n’est pas de disserter sur les causes de l’insécurité mais plutôt de voir comment l’interdépendance entre les différents droits fondamentaux s’illustre à travers elle.

Si des violations sont souvent à l’origine de l’insécurité, cette dernière à son tour les renforce et en crée d’autres.  N’étant  pas un fait isolé, l’insécurité entraîne la disparition ou l’inaccessibilité à certains services publics en creusant davantage les inégalités sociales, en créant une panoplie de violations, les unes entraînant les autres. C’est le cas par exemple des écoles et des centres de santé qui ont dû fermer leurs portes dans plusieurs quartiers de la capitale contrôlés par des gangs et aussi la prise d’assaut  des commissariats. 

Les déplacements répétés qui se font à la Croix des Bouquets, au Bel-Air, à Martissant, à Carrefour -Feuilles, à Mariani et dernièrement à Pernier sont dangereux et tendent à devenir la norme. En outre, il est intéressant de comprendre qu’il ne s’agit jamais seulement que de déplacements,  mais de centaines voire de milliers de personnes en situation infrahumaine fuyant leurs quartiers sous le silence complice de l’État. Comme si attaquer une zone, incendier des maisons, kidnapper une personne ou violer une femme s’inscrirait dans la normalité d’un peuple livré à lui-même. 

Ces déplacements entraînent un lot de violations comme l’atteinte au droit au logement,  forçant les victimes à se rendre dans des espaces d’hébergement précaires entraînant des conséquences sur l’alimentation et comme une chaîne, impacte la santé mentale et physique des déplacés. Certains enfants se retrouvent très loin de leurs écoles, d’autres, parce que des déplacés s’y logent, n’ont plus accès à l’éducation. Plusieurs écoles et universités de la capitale ne peuvent plus fonctionner. Les balles perdues, le kidnapping, la prise de quartiers par des gangs, les incendies sont autant de raisons poussant ces institutions à fermer leur porte. Le droit à l’éducation et à l’enseignement sont donc bafoués puisque l’important serait de rester en vie. 

Le non accès à ces espaces de savoirs retardera la rentrée potentielle de ces jeunes sur le marché du travail. L’impossibilité de franchir certaines zones impacte la liberté de circulation et handicape les transactions commerciales. Par conséquent, les prix des produits augmentent réduisant l’accès de ces derniers à une bonne partie de la population. Manger en Haïti est pour certains un luxe qu’ils ne peuvent pas se permettre. L’abandon forcé de son domicile, sans parfois pouvoir récupérer certains biens, appauvrit de plus en plus la population. Le droit au travail et au loisir sont aussi touchés. 

Dans les situations de violations généralisées, les groupes vulnérables sont toujours doublement ou triplement victimes comme  les femmes et les fillettes qui sans cesse subissent des violences sexistes et/ou sexuelles. Cela nous permet de pointer du droit le droit à une justice équitable qui,  malheureusement, disparaît. 

Les gangs armés ne sont pas appréhendés par la justice qui,  elle aussi, ne fait que courir pour l’insécurité. Il est atroce de savoir qu’on est livré à soi-même et que ni la justice, ni la police ne peut nous protéger. La mendicité, la délinquance, la pauvreté, le suicide, tous se retrouvent dans la longue liste des conséquences. Le niveau d’insécurité nous montre la faiblesse de notre système judiciaire et de notre police incapables d’appréhender les coupables qui prennent plaisir à récidiver en toute  impunité. L’hôpital de l’université d’État d’Haïti ne peut plus fonctionner comme avant, ce qui influe directement sur nos droits à la vie et à la santé. La situation actuelle touche donc tous nos droits fondamentaux comme le droit à la vie, au logement, à l’éducation,  à la santé, au travail et au loisir.

Dans un pays où le droit à la vie importe peu, la notion de droits humains reste une chimère quand bien même cet État serait signataire des plus belles conventions. Avec ce silence honteux de nos dirigeants, soit l’État est coupable, soit il est complice, soit il est incapable.  Et dans tous les cas, c’est un État à refaire. Tout Haïti crie l’incompétence de nos dirigeants sans vergogne qui s’attachent comme des sangsues à leur chaos. Quand sortirons nous donc de ce marasme ?