En Haïti, il n’y a pas une institution indépendante qui prend en charge l’identification des professionnels de la presse. Ils sont généralement reconnus comme journalistes quand ils détiennent une carte de presse livrée par un média d’appartenance et que cette carte reste en dernier ressort la propriété du média. Cette carte est censée ouvrir toutes les portes pour les journalistes.

Par ailleurs, il y a des journalistes qui ne travaillent pas dans un média et qui en conséquence, ne détiennent pas une carte. C’est le cas pour les journalistes indépendants qui, très souvent, travaillent à la pige. Si pour certains d’entre eux l’absence d’une carte de presse représente une limite dans l’exercice de leur profession, pour d’autres, elle n’est pas un obstacle.

Les salles de rédaction des médias en ligne les plus en vogue du pays paient les services des journalistes pigistes. Si pour certaines, collaborer avec des pigistes résulte d’un choix éditorial, pour d’autres, c’est dans des cas particuliers.

Certains médias en ligne de la capitale que nous avons questionnés sur le sujet nous disent utiliser les travaux d’autres journalistes seulement en cas d’éloignement de l’information (dans les zones de province NDLR) et de l’importance qu’a cette information pour le média. Dans ce cas de figure, ces médias misent sur un professionnel de l’information ayant une certaine ancienneté et notoriété dans la zone de proximité de cette information. Et très souvent, ce journaliste travaille pour un média radiotélévisé se trouvant dans la zone.

Dans l’autre catégorie, pour avoir une plus grande disponibilité de contenus, parfois dans l’idée de les diversifier, les médias commandent des articles au près des pigistes et sont aussi ouverts aux propositions d’articles de ces derniers. Tel est le cas de Loop Haïti.

« Nous avons aussi des pigistes parmi nos collaborateurs et collaboratrices. Il s’agit de journalistes qui nous proposent des sujets ou, à qui nous commandons des articles au besoin. », nous a confié Raoul Junior Lorfils, rédacteur en chef de Loop Haïti.
Vouloir travailler dans le domaine du journalisme et ne pas avoir [ma] une carte de presse, cela [me] rend incomplet[e]…

Wyddiane Prophète est étudiante finissante à la Faculté de Linguistique Appliquée de l’Université d’État d’Haïti. Mordue de journalisme, elle s’est formée sur le tas. Depuis 2018, elle travaille comme journaliste pigiste. Elle écrit pour le compte de Loop Haïti toute « une série de portraits mettant en lumière de grandes personnalités féminines souvent oubliées des livres d’histoires et qui ont pourtant contribué à la construction de la société haïtienne », nous a-t-elle confié.

Elle jouit d’une grande liberté dans le choix de ses sujets. « En général, c’est moi qui décide sur quoi je veux écrire, Je me sens plus libre en ce sens, parce que je choisis avant tout d’écrire sur des sujets qui m’intéressent particulièrement et qui ne me sont pas imposés. Lorsqu’on est vraiment passionné par un sujet, on ne compte pas les heures, on se donne à fond pour produire un papier qui en vaut vraiment la peine. »

Si la passionnée du journalisme qui écrit également pour le média en ligne IMEDIA et la marque de mode française d’origine haïtienne, CLEGG, jouit d’une grande liberté dans le choix de ses sujets, elle se sent pourtant limitée parce qu’elle ne détient pas une carte de presse.

« Bien sûr que oui que je me sens limitée, la carte de presse non seulement vous offre de nombreux avantages et vous facilite aussi l’accès à de nombreux endroits. Vouloir travailler dans le domaine du journalisme et ne pas avoir ma carte de presse, cela me rend incomplète dans pas mal de projets sur lesquels j’aimerais travailler »

Cependant, la jeune journaliste montre que ce manque ne peut lui empêcher de faire son travail avec rigueur et d’atteindre ses objectifs : « Mais cela ne m’empêche pas d’atteindre les objectifs que je me fixe au quotidien, je n’ai peur d’enquêter sur un sujet, parce que je n’ai pas de carte de presse, je trouverai toujours un moyen, si possible de contourner ce manque ».

La notoriété est un atout…

Michelet Joseph qui est aussi journaliste pigiste pour Loop Haïti jouit également d’une grande liberté dans le choix de ses sujets. C’est lui qui propose à la rédaction du media ses articles. Le journaliste nous confie que ses articles sont toujours publiés. Le pigiste doit en effet toujours être conforme à la ligne éditoriale du media auquel il vend son article.

Si pour Wyddianne l’absence d’une carte de presse est limitative, pour Michelet elle ne représente pas un obstacle. Anciennement rédacteur au journal le nouvelliste, particulièrement Ticket Magazine, il jouit d’une notoriété qui lui facilite la tâche. En tant que pigiste en Haïti, la notoriété est un ajout majeur.

Pour Michelet Joseph, tous jeunes journalistes qui aimeraient exercer le métier du journalisme en tant que pigiste, devraient avant tout se lancer en intégrant un média. Néanmoins, il admet que les médias en Haïti n’ont pas une capacité d’accueil optimale pour les jeunes journalistes. Mais, il soutient que c’est un problème plus global, lié au marché d’emploi.

Institution indépendante d’identification de journaliste et méfiance…

Pour Rodly Saintiné, journaliste, formateur et responsable d’école de journalisme, il est plus que nécessaire de réaliser une reforme générale dans le secteur médiatique en Haïti. Selon lui, il faut que les acteurs de la presse en Haïti instaurent « un organe d’autorégulation » du métier. L’un de ses principaux attributs serait l’identification des journalistes via une carte de presse.

C’est aussi l’avis du professeur et journaliste Vario Sérant, cofondateur du groupe Médialternatif. Dans un article publié le 2 janvier 2015 sur le site d’information Le social haïtien, le professeur plaidait en faveur d’une institution indépendante pour livrer aux journalistes une carte de presse et non les médias.

« La carte dont disposent les journalistes pour se justifier de leur travail, en témoignent longuement. Ils l’appellent « carte de presse », mais par des analyses l’on peut se rendre compte qu’elle n’est qu’une simple carte de media. », peut-on lire dans cet article.

Selon le professeur l’absence d’une institution indépendante pour réguler la question d’identification peut « traduire entre autres l’indifférence des journalistes à l’égard de la profession »

Néanmoins, si pour certains professionnels de la presse en Haïti une institution indépendante d’autorégulation est nécessaire, d’autres sont très méfiants envers toute institution de régulation dans le contexte haïtien. Selon un chef de rédaction d’un organe de presse qui veut garder l’anonymat, le rapport entre media et la société est très particulier et délicat. Selon lui, si cela est possible dans d’autre pays comme la France et le Canada, le cas haïtien est très fragile. Cela pourrait entrainer à un contrôle néfaste pour le journalisme en Haïti.

Jusqu’à présent la question se pose comme le professeur Sérant l’a dit : « comment parler de ‘’Journalistes indépendants’’ dans le pays si c’est un media qui doit lui donner sa carte ».