Une dizaine de commissariats, de sous-commissariats et d’antennes de police sont déjà sous le contrôle des hommes armés dans les communes de Port-au-Prince, de Cité-Soleil et de Croix-des-Bouquets. En seulement 5 jours, 4 nouveaux commissariats ont été incendiés entre 29 février et 4 mars. La coalition des hommes armés a continué leur mouvement anti-gouvernemental alors que l’État haïtien a décrété l’état d’urgence. Des hommes lourdement armés ont été aperçus de bas-delmas jusqu’au carrefour de l’aéroport le lundi 4 mars, où le sous-commissariat de delmas 28 a été incendié, un événement qui reprend les « territoires perdus » promus par la ministre de la Justice et de la sécurité publique, Emmelie Prophète Milcé.
À la suite de la prise d’assaut du centre pénitentiaire du pays le 2 mars, la coalition des hommes armés a continué leur démonstration de force le lundi 4 mars en lançant un nouvel assaut contre le sous-commissariat de delmas 28, non loin du carrefour de l’aéroport. Les infrastructures de police sont les principales cibles dans cette lutte visant « le départ » du Premier ministre de facto, Ariel Henry. Entre projets de déstabilisation de l’État ou des forces répressives de l’État, les bandits déchaînent leur colère, les territoires perdus s’élargissent, les dirigeants peinent à rétablir l’ordre. Le nombre de commissariats perdus dépasse déjà une dizaine.
Pourquoi les groupes armés s’intéressent-ils aux infrastructures policières ?
Pour l’instant, le contrôle des infrastructures de police est leur principale stratégie dans leurs mouvements dits anti-gouvernementaux. Une stratégie qui ne date pas d’hier.
L’académie nationale de la Police, à la route de Frères, a été le théâtre de feux nourris des membres du gang « Kraze Baryè » dont Vitelhomme Innocent est le caïd ; jusqu’à 2 h de l’après-midi du mardi 5 mars, les coups de feu fusent partout, alors que la 33e promotion de la police est en pleine formation dans les locaux, c’est la 2e attaque en moins d’une semaine.
En moins de 3 ans, depuis le gouvernement du Premier ministre de facto, les commissariats de Cité-Soleil, Carrefour Duvivier, Portail Saint-Joseph, les antennes de police à Drouillard, à Station-Gonaïve, Carrefour Canaan et récemment les commissariats de Cazeau, Portail Léogâne, Cabaret, Bon-Repos, de Delmas 3, les sous-commissariat de Titanyen, de Martissant, Grand-Ravine, de Delmas 28 ont tous subi l’assaut des gangs.
Des bandits armés ont compris depuis peu, que leur dominance passe par le contrôle des territoires. Depuis leur assaut réussi au sous-commissariat de Martissant en décembre 2021, ils n’ont cessé de s’étendre, multipliant les attaques. Le 30 septembre 2023, les gangs de Canaan ont incendié le commissariat d’Onaville, les policiers ont eu le temps de sauver leur vie, mais des équipements sont partis en fumée. Le pays assiste à des scènes de prise d’assaut depuis le gouvernement du défunt Jovenel Moïse en 2019. Sur le gouvernement de facto d’Ariel Henry, les attaques sont de plus en plus aigües.
Les « territoires perdus » sont la résultante du contrôle des infrastructures policières par les gangs dans les quartiers populaires. Depuis 2021, Martissant est totalement livré aux hommes armés après la conquête du sous-commissariat de police. Depuis, aucune tentative pour reprendre le contrôle du quartier. Le gouvernement, tout comme les citoyens, constate un autre fait accompli : les gangs continuent de saccager les appareils de contrôle de la PNH. Ils sont à la chasse des postes de police.
Selon le dernier rapport des Nations-Unies en date du 28 novembre 2023, la situation sécuritaire est alarmante. Les gangs sèment la terreur dans le département de l’Artibonite, les membres des gangs ont non seulement attaqué les bâtiments de la justice, mais son auxiliaire notamment. Le rapport informe que les gangs ont ciblé des commissariats de police ainsi que des policiers. « Au total, 18 incidents de ce genre ont été répertoriés entre janvier 2022 et octobre 2023. Quatre commissariats ont été attaqués et au moins huit policiers ont été tués. », précise l’ONU. Le 25 janvier 2023, dans la commune de Liancourt, le gang Gran Grif a mené trois attaques distinctes, séparées de quelques heures, contre le commissariat de police de Liancourt. Trois policiers et six membres du gang ont été tués lors des échanges de tirs, continue le rapport. Entre janvier 2022 et octobre 2023, au moins 1 694 personnes ont été tuées, blessées ou kidnappées dans le Bas-Artibonite.
Le contrôle des infrastructures de police par les gangs exacerbe la violence à la capitale. Depuis plusieurs jours, la coalition des hommes armés contrôle Port-au-Prince et fait de nouveaux commissariats perdus qui, en conséquence, font de nouveaux territoires perdus. Bas-delmas est vidé de sa substance vitale, les territoires perdus se prolongent jusqu’à delmas 28 où les groupes armés ont affronté la police à la veille des assauts contre deux centres pénitentiaires du pays.
Comment s’explique l’accumulation d’échecs de la police?
Le contrôle des deux plus grands centres pénitentiaires du pays est le comble en matière d’échec, ajoutant le nombre de commissariats qui ont croupi dans les flammes. Plus de 3 597 détenus se sont évadés à la prison civile de Port-au-Prince et pas un seul n’a été remarqué à la prison civile de la Croix-des-Bouquet, sur une capacité d’accueil de 1 500 détenus. Un échec caractérisé par l’absence d’autorité. La police nationale peine encore à prendre le contrôle. Des autorités sont en fuite comme si le calme devait venir tout seul.
Les citoyens se demandent si le renforcement de la PNH, tant en termes de qualité et d’effectifs, a vraiment été une priorité pour les autorités. Selon un plan de développement de la PNH sur quatre années, soit de 2012 à 2016, l’institution devait se doter d’équipements adéquats, d’effectifs suffisants, la construction d’infrastructures entre autres ; les résultats constatés des opérations laissent les citoyens perplexes quant aux réelle avancée structurelle entravée plus tard par le problème d’effectif, l’institution peine à tenir le pas fuyant ses infrastructures devant la menace des groupes armés.
En 2013, la PNH comptait environ 10 000 agents dans ses rangs selon les Nations unies. Un programme de recrutement a été mis en place pour permettre d’augmenter l’effectif jusqu’à 16,000 en 2016 à raison de 1 000 nouveaux agents recrutés par an. Selon la cheffe du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), Maria Isabel Salvador, plus de 1 600 agents ont quitté l’institution policière en décembre 2023. Le plus alarmant, au cours des deux dernières années, pas moins de 3 000 agents au total ont quitté la PNH « les statistiques font état de 2 948 renvois pour abandons de poste et 123 d’émissions acceptées » écrit la radio télé métropole en février 2024. Quel sera le destin de cette police face au millier de prisonniers libérés dans la nature, parmi eux des redoutables chefs de gangs qui viennent grossir les rangs de la coalition des groupes armés.
Les réactions de la classe politique et de l’international
Face à leur démonstration de force de la coalition des groupes armés, les structures politiques usent du même refrain : démission en bloc des membres du gouvernement qui ne font que « constater » alors que le pays est en état d’urgence. Le chef du parti politique UNIR, Clarens Renois, a réitéré son appel à la démission « que ceux des membres du gouvernement qui ont un cœur pour Haïti se retirent pour faciliter une sortie de crise, écrit l’homme politique, au vu de ce qui se passe au pays, vous vous faites humilier par des gangs » a-t-il poursuivi. Clarens Renois appelle la communauté internationale à faciliter une solution, « car pour moins que cela, on avait fait partir le président Jean B. Aristide » se souvient-il.
Un ex-ambassadeur des Etats-Unis à Port-au-Prince, James B. Foley, a appelé les autorités américaines à envoyer une force limitée en terre haïtienne pour éviter l’effondrement total de l’État. Hier lundi 4 mars, le porte-parole du conseil national de sécurité à la Maison Blanche, John Kirby a déclaré au journal américain, Miami Herald que la Maison Blanche travaille à « accélérer» le déploiement de la Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité en Haïti qui sera dirigée par le Kenya. John Kirby a déclaré aux journalistes qu’au cours du week-end, les hauts responsables du gouvernement américain sont restés en contact étroit avec des responsables haïtiens et des membres de la communauté internationale pour aider à stabiliser la situation actuelle. Pour l’heure, « les États-Unis n’envoient pas des troupes à Haïti pour soutenir les opérations de sécurité de la police nationale » , lit-on dans le journal américain, Miami Herald.
Les réactions sont très timides du côté des dirigeants en fonction. La recrudescence des mouvements anti-gouvernementaux orchestrés par la coalition des plus notoires des chefs de gangs, multiplie les territoires perdus alors que nul ne sait où se trouve le Premier ministre Ariel Henry qui devrait rentrer au pays comme prévu le lundi 4 mars 2024. Avec la situation de tension qui prévaut à Port-au-Prince plusieurs compagnies aériennes dont American Airlines, Jet Blue et Spirit Airlines ont annulé leurs vols vers la capitale. Du coup, des rumeurs laissaient croire que le Premier ministre de facto se préparerait à atterrir à l’aéroport du Cap-Haïtien pour éviter de Port-au-Prince, où des bandits affrontaient les forces de l’ordre aux abords de l’aéroport.
Les Capois ont érigé des barricades pour bloquer l’arrivée éventuelle du Premier ministre qui jusqu’à présent brille par son absence au pays. Selon radio métronome, le Premier ministre a été forcé d’atterrir à San Juan, Porto Rico, ce mardi 5 mars. Se trouvant dans une situation compliquée, précise le journal jacmelien, le PM veut se rendre dans un autre pays, Ariel Henry ne peut rentrer au pays pour cause, les assurances des avions leur interdisent de se rendre à Haïti, sinon ils ne seront pas indemnisés en cas d’incident, écrit le journal. Notons que la Ministre de la Justice et de la Sécurité publique, notamment ministre de la Culture et de la Communication, Emmelie Prophète Milcé ainsi que le ministre de l’environnement, James Cadet sont aussi en dehors du pays.