Les différentes formes d’atteintes et de violations des droits fondamentaux en Haïti sont légion. De ce jeune homme tué par balles, à cette dame battue par son conjoint violent ; de ces gosses sans accès à l’éducation à ces détenus mourant dans des trous crasseux ; de cette maison incendiée par des gangs à cette femme qui pleure son fils kidnappé…Les violations deviennent notre quotidien voire l’état normal de notre vécu. Et, à chaque fois que l’État ajoute sa goutte d’incompétence, d’abus de pouvoir, de corruption ou de stigmatisation, le vase déborde.

Chaque victime en Haïti est susceptible de l’être doublement ou triplement. Parmi ces groupes subissant des violences, des discriminations ; comme les femmes, les handicapés, les homosexuels, on trouve aussi les « dreadlocks » ou d’une manière plus large, des contraintes douces, pas toujours visibles portant sur des « coiffures » et dont on ne parle jamais.

Des tresses de la peur?

Pour une grande partie de la société, les tresses font peur, surtout quand la personne qui les porte ne nous est pas familière. La société voit en un homme qui porte les cheveux longs, un drogué, un « zenglendo », un déviant prêt à commettre une quelconque infraction vu que la loi pénale ne lui ferait pas peur. Mais, en dépit de cette représentation dont le socle est d’ailleurs une tonne de préjugés, croire que les locks pourraient pousser naturellement à la criminalité ou en constitueraient un signe visible, est une bêtise que nous ne saurions accepter au cœur de cette ère moderne.

Quand l’État, qui se doit d’être au-dessus de tout clivage, se met à persécuter des citoyens à cause de leur coiffure, c’est une violation grave de leur liberté. Les mécanismes de fonctionnement des institutions étatiques, au regard de leurs responsabilités, sont clairement préétablis. Les autorités garantes de la sécurité publique savent très bien comment faire leur travail. Ces actes ne sont, par conséquent, que des simagrées pour cacher leur incompétence.

Nul ne peut nous faire croire que pour combattre l’insécurité et reprendre les « territoires perdus » de Madame, il suffira de raser des crânes. Couper les cheveux de deux ou trois personnes croisées en chemin est un théâtre de rue vide de sens qui se fait d’ailleurs très loin des zones dites perdues. C’est un sketch tendant à nous ôter de la tête notre expérience au banc d’essai politique avec un « vagabond » en 2011 qui ne portait pas de locks. Comme quoi l’habit ne fait pas toujours le moine ?

Couper les cheveux d’une personne sans son consentement est une atteinte à sa liberté

Nous pensons parfois à tort que les violences physiques se résument aux coups et/ou blessures. L’article 3 de la DUDH est clair : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sureté de sa personne »[1]. Couper les cheveux d’une personne sans son consentement est une atteinte à sa liberté et à la sureté de sa personne. « Les violences peuvent se produire dans l’espace privé ou public. Elles sont de nature verbale, physique ou sexuelle. Les violences se manifestent au travers des paroles, des comportements, des actes ou des gestes. »[2] C’est donc une atteinte à l’intégrité de la personne victime qui se traduit par un non-respect de son corps. La personne se sent humiliée et non acceptée par le corps social.

Un individu doit pouvoir porter ses cheveux comme il le souhaite et quand l’État l’en empêche, c’est un acte arbitraire, un abus d’autorité. L’État doit mettre en place des mesures d’effectivité des lois sur la protection des individus qui ne doivent en aucun cas se sentir menacés, et pouvant s’épanouir au sein de leur communauté.

Nos parquets ont assez de dossiers dont les concernés sont en détention préventive prolongée, et notre justice corrompue a assez de travail à faire pour qu’elle s’adonne à la coupe des cheveux dans les rues comme mesure dissuasive. Et si cette pratique attire notre attention, cela ne doit être qu’un moyen pour nous porter à nous pencher sur les discriminations systémiques portant sur les coiffures en Haïti, dans le but de les combattre.

La chasse aux « dreadlocks », une discrimination systémique

Par ailleurs, de manière plus large, la haine du cheveu noir crépu en Haïti conduit à d’énormes discriminations. L’haïtien semble être conditionné à une haine pour tout ce qui lui ressemble et devient de plus en plus hostile à tout ce qu’il est. Cela est sans doute un héritage de la colonisation et l’occupation qui nous laisse croire encore en la supériorité des caractéristiques du blanc. Autant que le  « lace frontal »  ou les produits éclaircissants   rencontrent peu ou pas assez de résistance sociale, les locks, appelés d’ailleurs mèches de la peur, continuent de nous effrayer.

Les personnes avec les locks en Haïti, ou tout simplement les hommes tressant leurs cheveux crépus, subissent de nombreuses discriminations systémiques qui les bloquent dans de nombreux aspects de la vie sociale comme les études, le travail ou le droit au logement.  « La discrimination systémique implique les procédures, les habitudes et une forme d’organisation au sein d’une structure qui souvent sans intention, contribuent à des résultats moins favorables pour les groupes minoritaires que pour la majorité de la population, en ce qui concerne les politiques, les programmes, l’emploi et les services de l’organisation. »[3] Elle comprend des pratiques ou des usages en apparence neutres et est aussi appelée, discrimination structurelle ou institutionnelle.

 Il est prépondérant de pouvoir protéger les groupes qui subissent de la discrimination systémique au sein des communautés car elle est très souvent le résultat d’une dynamique de pouvoir.  « De plus, rappelons-nous que la capacité des individus à discriminer est intégralement liée à leur position, à leur autorité, à leur pouvoir et à leurs privilèges au sein des organisations […] Donc, quand la discrimination individuelle est récurrente au sein d’une organisation, ou lorsqu’elle est renforcée par des inégalités de pouvoir et de statut, cela devient plus qu’un problème individuel. C’est un problème systémique»[4].

Une violation des droits des communautés

Aucun cas de discrimination n’est isolé et chaque individu discriminé représente un groupe, le groupe lié aux caractéristiques pour lesquelles il est exclu. Quand les personnes portant des locks ne peuvent intégrer certaines universités religieuses de la place ou quand on exige aux hommes la coupe des cheveux à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de Port-au-Prince, ce ne sont pas des cas isolés mais bien des discriminations émanant des politiques institutionnelles et de pratiques répétitives.

Ces pratiques excluent des groupes sur la base de leur coupe de cheveux et c’est une violation grave de leurs droits fondamentaux à l’éducation, à l’enseignement supérieur ou la formation professionnelle. « Souvent, ces politiques ou règles paraissent neutres alors qu’elles discriminent des individus selon leur appartenance à un groupe. » [5] Nous nous devons de cesser de voir certaines limites discriminatoires portant sur les cheveux ou la coiffure comme de simples principes évoqués par un règlement intérieur ou un protocole imposé.

Pour des personnes portant des locks, dans ce contexte paradoxal des déplacements internes causés par les gangs envahissant des quartiers entiers et le « bwa kale » hostile aux déplacés, trouver un logement est telle une quête d’aiguille perdue dans une botte de foin.

Nous devons exiger de nos hommes et de nos femmes politiques, qu’ils.elles activent les mécanismes de réponses au phénomène de l’insécurité, sans, en aucun cas , violer les droits de certains groupes ou fragiliser leur sécurité, conformément à l’article 19 de la constitution qui incombe à l’État l’impérieuse obligation de garantir le droit à la vie, à la santé et au respect de la personne humaine, à tous les citoyens sans distinction. Si nos représentants ne peuvent garantir réellement nos droits les plus fondamentaux et être à la hauteur des fonctions de service public pour lesquelles nous les payons, dans le strict respect de notre dignité, ils.elles doivent démissionner. C’est un impératif.

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[1] Article 3 de la DUDH

[2] Atteinte à l’intégrité de la personne. Page 1, Bruxelles prévention et sécurité

[3] coe.in Discrimination Systémique.

[4] ledevoir.com, Comprendre la discrimination systémique, 13 septembre 2018

[5] Idem