S’il y a un fléau social qui m’attriste et me révolte le plus, c’est la situation infrahumaine dans laquelle vivent les détenus. S’il y a une injustice insupportable, c’est celle qu’engendre l’État haïtien à travers le système pénitentiaire.
Comment ne pas accuser la justice de se livrer à des assassinats systémiques et violents ? Comment ne pas accuser l’administration pénitentiaire de laisser mourir des détenus de faim, de honte, de chaleur, de maladie et d’indignité ?
J’accuse la chaîne pénale de devenir une association de malfaiteurs qui guettent et qui tuent. J’accuse l’État haïtien d’assassiner ses citoyens ; comme un prédateur en quête d’une proie facile.
La prison haïtienne est comme un camp de concentration où l’on envoie mourir des gens. Combien de malades ? Combien de gens souffrant de handicaps ? Combien d’enfants ? Combien de détenus que l’État devra-t-il enterrer comme des chiens avant de comprendre que tout cela est anormal, injuste, inhumain et révoltant ? Combien d’êtres humains devront mourir de faim dans nos prisons avant de nous mettre en colère ?
Je devrais voir la colère surgir. À chaque enfant qu’on emprisonne. À chaque détenu qui meurt de maladie non soignée. À chaque détenu que le système laisse mourir de faim. À chaque détenu en détention préventive prolongée, à qui on a enlevé la liberté en dehors de tout cadre légal.
En colère, parce que nos femmes, nos hommes et nos enfants méritent d’être punis avec dignité. En colère, parce qu’un accusé doit être jugé dans un délai légal et avec impartialité. En colère, parce que les droits fondamentaux comme la santé, l’alimentation et même l’éducation ou la formation professionnelle sont inhérents, inaliénables et ne s’estompent pas en prison.
En colère parce que les cellules sont surpeuplées et les détenus sont enfermés pendant des heures avec leurs récipients-toilettes remplis de merdes. Parce que les détenus passent des années en prison et sortent vulnérabilisés, sans aucune aptitude professionnelle. En colère, parce que l’État viole les droits fondamentaux des détenus en dépit des conventions ratifiées.
En colère, parce que tout traitement infrahumain et indigne est une atteinte à la dignité humaine dans toute sa globalité. En colère, parce que la colère est une révolte, une réponse automatique à l’injustice.
J’accuse donc l’État de porter atteinte à la liberté individuelle. J’accuse l’État d’avoir rétabli en Haïti une forme de peine de mort à petits feux, illégale, cruelle, inhumaine, irrespectueuse de la vie, de la dignité et de la liberté.