Dans le cadre de la campagne internationale de sensibilisation au cancer du sein, connue sous le nom d’Octobre Rose, un entretien a été mené avec une femme confrontée à cette maladie. Aborder ce sujet délicat requiert patience et compréhension ; beaucoup n’ont pas souhaité partager leur expérience. C’est avec respect et persévérance qu’un témoignage poignant a été recueilli, qui sert à éclairer cette réalité.
Cette histoire est celle d’Amélia (le prénom Amélia est un pseudonyme utilisé par notre rédaction afin de préserver la vie privée de la personne interrogée).
Originaire de la commune de Marigot (département du Sud-Est d’Haïti), Amélia, en raison de sa maladie, a dû se déplacer pour résider en ce moment dans la localité de Meyer (Section communale de Bas-Cap-Rouge, Sud-Est). Informés de son cas, nous avons réussi à la rencontrer et à recueillir le récit de son parcours. Dans un climat de confiance, elle nous a ouvert les portes de son vécu avec la maladie.
La découverte et l’inquiétude
Amélia commence son récit avec simplicité : « Je suis dans la soixantaine, j’ai deux filles, l’une est en République dominicaine et l’autre vit actuellement avec moi, ici en Haïti ». Elle situe la découverte de la maladie en septembre 2022. Un matin, alors qu’elle était au marché pour ses activités de vente, elle a ressenti une démangeaison inhabituelle à un endroit de son sein gauche. En y prêtant attention le soir même, la démangeaison persistait.
Elle fait alors le lien avec un événement passé : « Après avoir eu ma deuxième fille, au moment de son allaitement, j’avais remarqué un tout petit bouton sur mon sein gauche, mais je n’y avais jamais prêté attention. Chaque fois que je le remarquais mûr, je pressais dessus, jusqu’à ce qu’un jour il ne réapparaisse plus, mais la marque de l’endroit où il se trouvait était toujours là. Je dois vous dire que c’est exactement à cet endroit que j’ai remarqué que le sein me grattait », confie-t-elle.
Au matin, l’apparence du sein a changé de manière spectaculaire : il est comme anesthésié et « plein de petits trous, comme une orange ratatinée », décrit-elle. Bien que continuant ses activités, les symptômes s’aggravent : le sein lui gratte et change d’aspect. « Il devenait tout noir ». Puis, à la fin du mois d’octobre 2022, un signe alarmant se manifeste : le mamelon se rétracte à l’intérieur du sein, pour finalement disparaître : « Quand le mamelon s’est rétracté, j’ai commencé à avoir peur », relate-t-elle.
Le refuge dans la foi et la quête de soins
Face à la peur, elle s’est d’abord tournée vers la foi, sans jamais évoquer ses souffrances, même pas à sa fille qui vit avec elle. « Je suis toujours allée jeûner à mon église… j’ai toujours demandé aux personnes qui dirigent les jeûnes… de faire une prière spéciale pour moi en mon nom propre pour guérison, sans jamais leur dire ce qui tracassait mon esprit et mon corps », témoigne Amélia.
C’est suite à l’appel d’une de ses sœurs vivant à l’étranger qu’elle se résout à chercher de l’aide médicale, recevant de l’argent pour les démarches. Elle informe alors sa fille et se rend à l’hôpital. L’infirmière consultante l’oriente vers un autre établissement sanitaire, jugeant le premier non approprié. Elle lui suggère de se rendre à un hôpital à Cayes-Jacmel.
À l’hôpital de Cayes-Jacmel, le verdict se précise. Le médecin évoque la possibilité d’un cancer et l’enjoint de se rendre à Port-au-Prince, la maladie ayant « déjà dépassé ce qu’ils pouvaient traiter » localement.
Dirigée vers un beau-frère à Port-au-Prince, Amélia y arrive, mais est à nouveau renvoyée vers un hôpital à Mirebalais. Face au danger lié à l’insécurité dans cette zone, la sexagénaire est contrainte de rentrer chez elle, subissant les souffrances. À ce moment, le sein était « tout noir, et il s’écaillait comme la peau de quelqu’un qui avait été brûlé, puis il s’est transformé en plaie ».
Le diagnostic et les traitements dans l’incertitude
Ce n’est qu’en mars 2023, après que son beau-frère ait trouvé une nouvelle piste de traitement, qu’elle envisage un retour à Port-au-Prince, malgré l’insécurité chronique. En juin 2023, elle parvient enfin à un hôpital où le diagnostic de cancer est confirmé.
Le protocole de soins annoncé par le médecin (chimiothérapie avant l’opération, puis une opération, suivie d’autres séances de chimiothérapie) la plonge dans l’angoisse. Elle craint de mourir, surtout par manque de moyens financiers. « C’est là que mon beau-frère m’a dit de ne pas m’inquiéter parce qu’il allait demander de l’aide aux autres membres de la famille et à certains amis qui lui sont proches », dit-elle.
Grâce à la solidarité familiale et à l’aide d’amis du beau-frère, les fonds sont réunis. La chimiothérapie, l’opération et la deuxième série de chimiothérapie peuvent commencer. Les effets secondaires sont violents (vomissements, diarrhée, perte totale des cheveux), mais elle s’accroche à l’espoir de recouvrer la santé. Elle est également soumise à un régime strict, excluant le sucre, les boissons gazeuses, la viande, le maggi (cube) et autres…
Le parcours est cependant semé d’embûches. L’insécurité à Port-au-Prince est une menace constante. « Il y a des fois où je devais sortir prendre un taxi-moto pour aller à l’hôpital. Je devais commencer à prier la veille pour demander à Dieu la protection… », déclare-t-elle.
Lors d’un retour d’une séance post-opératoire de chimiothérapie, elle est victime d’une véritable mésaventure : prise dans des tirs de balles, elle tombe de la moto et se blesse au pied droit. Pire encore, elle ne peut pas terminer la seconde partie des chimiothérapies, l’hôpital étant devenu inaccessible en raison de l’emprise des bandits sur la zone. Elle est obligée de prendre le transport pour rentrer chez elle à Marigot.
La maladie ressurgit, le corps cède
Malgré les obstacles, elle affirme que l’opération a pu apporter un certain soulagement. L’année 2024 est une période d’accalmie ; les douleurs ont quasiment disparu et la plaie opératoire guérit progressivement, notamment grâce aux conseils de consommer beaucoup de manioc. Elle se sent « pratiquement en forme » jusqu’à la fin de l’année.
C’est alors qu’une nouvelle petite masse « sous l’allure d’une kyste bien moue » apparaît à côté de la zone opérée. Elle se transforme en une petite boule. En avril 2025, la situation s’aggrave : plusieurs masses similaires apparaissent, ainsi que sous son aisselle gauche.
« Toutes ces petites ‘’blades’’ se sont transformées en un paquet de boules très dures qui me font mal. En plus de cela, mon bras gauche a gonflé, toute la paume de ma main a enflé », nous confie-t-elle. Un nouveau passage à l’hôpital de Cayes-Jacmel confirme ses craintes : la maladie est revenue. Le médecin lui demande à nouveau de se rendre à Port-au-Prince.
L’attente insoutenable
Aujourd’hui, Amélia est dans l’attente, face à une situation politique et sécuritaire désespérée. « Maintenant, au moment où je vous parle, j’attends. J’attends que Port-au-Prince s’améliore pour que je puisse y retourner, j’attends. Il se peut aussi que ce soit ma mort que j’attende ! Mais j’attends ! », lance-t-elle avec désespoir.
Elle conclut son témoignage sur l’impossibilité de se soigner dans le contexte actuel : « Le pays ne va pas bien, les gens meurent à Port-au-Prince, les bandits ont pris la zone où se trouvait l’hôpital, et je ne sais pas comment je vais faire pour trouver les moyens non plus parce que ma famille avait déjà fait tout ce qu’elle pouvait pour moi ! ».
Ce témoignage n’est pas seulement une histoire personnelle de courage face au cancer du sein ; c’est une dénonciation des multiples difficultés auxquelles sont confrontés les patients en Haïti. Un témoignage qui illustre tragiquement les principaux défis du traitement du cancer du sein en Haïti : l’extrême rareté et la concentration de ces quelques centres de soins.
Le parcours marqué par la solitude du diagnostic, la dépendance à la solidarité pour le financement des soins et surtout, par l’interruption forcée des traitements due à l’insécurité chronique du pays, est un symbole de la lutte inégale contre cette maladie dans un pays où la violence et la défaillance des structures sanitaires menacent directement la vie.
Son cri d’alarme final, entre l’attente d’une amélioration nationale improbable et la résignation à la mort, rappelle que pour beaucoup, le combat contre le cancer (du sein) en Haïti est aussi un combat pour l’accès à la sécurité et à l’existence même.





