En dépit des nombreuses activités réalisées chaque 8 mars à travers le monde depuis l’officialisation de la Journée Internationale des Droits des Femmes par l’ONU en 1977 et malgré les avancées technologiques qui permettent la circulation rapide des informations, les gens ne comprennent pas toujours ce que représente la journée du 8 mars. Nous faisons face à une explosion de « bonne fête » et les femmes reçoivent des fleurs, des cadeaux et des bijoux même par ceux qui contribuent à pérenniser le système machiste. Elles sont remerciées pour leur apport social, notamment au sein du foyer qui est le centre privilégié de ce système. Le 8 mars devient donc une fête de la femme comme celle de la fête des mères.
L’objectif de ce travail est donc d’apporter notre appoint en expliquant ce qu’est vraiment la date du 8 mars. La première chose importante que nous jugeons nécessaire de mentionner est que le 8 mars n’est pas la fête des femmes. Comme le nom de la journée l’indique, c’est la Journée Internationale des Droits des Femmes. « Des femmes » revient à dire qu’il n’y a pas un modèle de « femme » ni une manière naturelle d’être une femme. « Des femmes » nous permet de sortir dans une définition genrée du mot qui conditionnerait un comportement social essentiel et non contingent attaché à des traitements basés sur le sexe. Cela veut dire aussi que les femmes sont multiples et qu’à partir d’une seule, on ne saurait définir ou comprendre toutes les autres. Afin d’atteindre notre objectif, nous ferons une brève historicité de la Journée internationale des Droits des Femmes. Puis nous étudierons l’importance d’une telle journée. Et enfin, nous ferons un zoom sur les droits des femmes dans le contexte haïtien actuel.
Historicité de la Journée Internationale des Droits des Femmes
Longtemps rattachée à un mouvement social de couturières new-yorkaises en 1857, la date du 8 mars a pour véritable point de départ la révolution bolchévique de 1917. Toutefois, l’idée de consacrer une journée internationale autour des luttes des femmes vient de la militante socialiste allemande Clara Zetkin, inspirée elle-même de la journée nationale des droits des femmes aux ͞États-Unis dit « Women’s Day », sous l’impulsion des femmes socialistes américaines. En effet, globaliser la journée des droits des femmes a été suggéré en 1910, lors d’une conférence internationale des femmes travailleuses à Copenhague. Le but de cette journée serait de mettre en avant les luttes socialistes pour les femmes, notamment le droit de vote. A l’unanimité, 100 femmes venues de 17 pays acceptèrent la proposition de Clara Zetkin. Cette célébration internationale a débuté dès 1911 en Autriche, en Allemagne à Danemark et en Suisse. Cependant, si la journée était d’influence socialiste au départ, elle s’est transformée vers les années 1970 en une journée très féministe.
Ce n’est pas le 8 mars, mais tout le mois de mars qui est consacré aux combats et revendications multiples et diverses des femmes à travers le monde. Ces dernières n’ont pas les mêmes revendications. Par exemple, en Haïti, nous revendiquons encore de pouvoir recourir librement à l’avortement qui est déjà dépénalisé dans plusieurs autres pays. Le mois de mars reste donc un mois symbolique qui accueille plusieurs débats autour de la thématique des droits de la femme et la création d’organismes ou de regroupements féministes. Les regroupements féministes se font le porte-parole des femmes à travers le monde qui n’arrivent pas à parler ou qui sont inconscientes de ce qu’elles vivent comme violence ou marginalisation. Il est clair que tous les pays n’ont pas fait le même effort en terme de droits des femmes. Le féminisme en ce sens est intéressant puisqu’il ne s’agit pas d’une femme ou d’une catégorie de femmes mais de « nous toutes ». Le combat féministe est global et prend en compte les situations de toutes les femmes telles qu’elles soient. Et c’est un combat qui ne peut s’arrêter avant la fin du sexisme. Le féminisme s’inquiète du destin d’une femme comme celui de tout le monde. Isabelle Alonso l’a clairement exprimé en disant que : « Tant qu’une seule femme sur la planète subira les effets du sexisme, la lutte des femmes sera légitime et le féminisme nécessaire».
Beaucoup d’événements majeurs pour l’émancipation des femmes se sont déroulés en mars. Nous pouvons citer par exemple, l’incendie du 25 mars 1911, à l’usine Textile Triangle Shirtwaist qui a causé la mort de 129 ouvrières. Cela a marqué fortement un rapprochement entre la lutte des femmes et le mouvement ouvrier. Cependant la date phare reste la première révolution bolchévique du 23 février 1917. Ce jour-là, des femmes ont manifesté dans les rues de Petrograd (Saint-Pétersbourg) pour réclamer « du pain et de la paix ». Elles sont rejointes par les ouvriers et cette date constitue donc le début de la révolution russe. Nous devons noter que ce 23 février du calendrier julien en vigueur à l’époque correspondait au 8 mars dans le calendrier grégorien. Le 8 mars 1921, Lénine décrète le 8 mars Journée des femmes. Le 8 mars 1977, l’ONU a décrété officiellement le 8 mars comme la Journée Internationale des Droits des Femmes. L’origine du 8 mars nous fait comprendre qu’il ne s’agit pas d’une fête mais plutôt d’une journée de mobilisations, d’actions, de sensibilisation et de décisions politiques répondant aux nombreuses revendications des femmes qui exigent l’égalité entre les sexes et la fin des discriminations sexuelles.
8 mars comme moment de lutte pour la sauvegarde des droits acquis et de revendications nouvelles.
Pendant plusieurs siècles, les femmes ont été légalement considérées comme inférieures. Elles n’étaient pas vues comme « l’égale » des hommes. Les droits civils et politiques des femmes sont tous le résultat de combats acharnés contre le système patriarcal et les lois sexistes qui malheureusement (certaines) continuent d’exister. Accès à l’éducation, Le droit de vote et d’éligibilité, la liberté de choisir sa propre profession, la parité politique, le droit de propriété, l’égalité salariale sont autant de combats menés par les regroupements féministes. Par contre, les luttes doivent continuer pour deux grandes raisons.
Premièrement, les droits acquis sont fragiles. Parce que nous avons dû nous battre pour nos droits, ils perdent leur côté naturel et inhérents à tout être humain. Comme cette phrase de Simone de Beauvoir citée dans un discours de Claudine Monteil : « Il suffira d’une crise politique, économique et religieuse, pour que les droits des femmes, nos droits, soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez demeurez vigilante. » Nous devons faire le point sur ce qui a été fait et ce qui reste à faire sur la question de la place de la femme dans la société dans l’objectif premier de protéger nos droits acquis.
Deuxièmement, il reste encore beaucoup à faire. Les luttes féministes sont porteuses de revendications actuelles. Les femmes, même si de nombreuses conventions et constitutions le disent, ne jouissent pas d’une égalité réelle avec les hommes. Nos sociétés jusqu’à aujourd’hui n’arrivent pas encore à protéger les femmes des violences (conjugales notamment), des exclusions et des discriminations. Nous devons donc continuer le combat pour une émancipation réelle de la femme. Et pour réciter Simone de Beauvoir, « La femme n’est victime d’aucune mystérieuse fatalité. Il ne faut pas conclure que ses ovaires la condamnent à vivre éternellement à genoux. »
Les droits des femmes en Haïti : Défis et perspectives
Parler des droits des femmes en Haïti est difficile dans la mesure où aucun droit humain n’y est respecté. En parler devient aussi intéressant puisque les femmes sont doublement victimes. Les représentants sont incapables de poser le problème du bon fonctionnement de notre pays, encore moins de combattre les discriminations à l’égard des femmes. Sur le plan pénal, l’avortement est toujours pénalisé par l’article 262. En dépit de la criminalisation de l’avortement, aucune prise en charge n’est faite au niveau de la maternité. Les femmes enceintes sont livrées à elles-mêmes. Le piteux état de la maternité de l’hôpital de l’Université d’État d’Haïti nous montre clairement que l’Etat n’a aucune politique publique en termes de gestion de la natalité. Bon nombre de femmes enceintes meurent abandonnées au sein même de l’hôpital. Et, aucun projet politique ne prend en compte les familles monoparentales surtout abandonnées du père et qui font très souvent partie des familles vulnérables.
Notre code pénal n’étudie pas de manière spécifique les cas liés aux femmes. Aucune loi ne prend de mesures dissuasives contre les violences spécifiques faites aux femmes malgré le taux de féminicides. Sur le plan civil et politique, le quota de 30 % exigé par la constitution (art 17.1) n’est pas respecté. Il ne s’agit pas non plus seulement de dire que les femmes peuvent faire de la politique, il y a des mesures connexes qui doivent être prises. La gestion du foyer reste encore aujourd’hui une occupation des femmes qui n’arrivent pas à s’adonner à la politique. Beaucoup de femmes également ne veulent pas s’impliquer pour ne pas contribuer à la pérennisation du modèle politique actuel qui a vu le détournement des fonds de « PetroCaribe », la gangstérisation de la capitale, la destruction de notre patrimoine, la corruption, le renforcement des gangs et l’affaiblissement de la police nationale, la mauvaise gouvernance et j’en passe.
Le Décret du 8 octobre 1982 donnant à la femme un statut conforme à la constitution et éliminant les formes de discriminations à son égard peut être considéré comme un pas décisif vers l’égalité que nous recherchons. Mais il reste encore des failles au niveau de l’article 216 du code civil qui limite l’adultère de l’homme qu’à l’intérieur de la maison conjugale. Une manière de normaliser l’infidélité de l’homme et de continuer à contrôler le corps et la sexualité de la femme. Notre constitution en vigueur en son article 17 reconnait l’égalité entre les hommes et les femmes d’Haïti. En effet, il est écrit : « Les Haïtiens, sans distinction de sexe et d’état civil, âgés de dix-huit (18) ans accomplis, peuvent exercer leurs droits civils et politiques s’ils réunissent les autres conditions prévues par la constitution et par la loi. » Mais, cette égalité de droit est–elle de fait ? L’État ne devrait-il pas mettre en place des mécanismes pouvant assurer une égalité réelle ?
Au lieu de pousser les gens à mieux comprendre ce qu’est le féminisme, les réseaux sociaux ont servi parfois à attiser le sexisme de certains groupes envers les femmes. La fin des combats et des revendications féministes n’est pas pour bientôt. Mais nous continuons à croire en une société de demain plus juste et plus égalitaire où nous cesserons de maintenir des rapports « miwo miba »[1] entre nos hommes et nos femmes.
En Haïti, des traités doivent être ratifiés dans le but de promouvoir le respect des droits humains y compris ceux des femmes et des minorités. Des lois et articles sexistes doivent être abrogés. Les femmes doivent apprendre à apprivoiser les milieux publics qui sont parfois lieux de harcèlement sexuel et d’injures sexistes (les réseaux, la rue, etc.) Le combat féministe d’autant plus légitime continuera dans le but de changer les rapports hommes-femmes dans les sphères publics mais aussi dans nos rapports les plus intimes. L’égalité en droit n’est pas un leurre, c’est une loi naturelle.
[1] Miwo-miba est une expression créole qui traduit une inégalité. Les rapports miwo-miba entre les hommes et les femmes sont donc des rapports hiérarchisés et inégalitaires.
Références
alloprof.qc.ca, Les luttes et les revendications des femmes au 20e siècle.
Constitution de 1987 amendée le 9 mai 2011
Code civil
Code pénal
8mars.info, le 8 mars devient plus féministe.
f-information.org, Le 8 mars, histoire d’une lutte pour les droits des femmes.
geo.fr, Droit des femmes : des siècles de luttes et de progrès.
geo.fr, Journée internationale des droits des femmes : 5 choses à savoir sur ce jour de mobilisation.
pivot.quebec , Les droits des femmes sont négligés edn Haïti.
ritimo.org, Féminismes maillons forts du changement social.
UN Women, Journée internationale des femmes 2023 : Pour un monde digital inclusif : innovation et technologies pour l’égalité des sexes.
Vie-publique.fr, Droits des femmes : Cinq questions sur la journée du 8 mars.