Rencontres du Documentaire en Haïti (VVI)

Le lancement de la 5e édition des Rencontres du Documentaire en Haïti a lieu le dimanche 3 décembre 2023 à Kitmédiathèque à Turgeau, autour du thème « exilé.e dans son pays » L’association KIT a inauguré cette énième édition par une installation photographique et sonore intitulée “FAS BA” de Phalonne Pierre Louis, en collaboration avec Albert Kevengson. L’exil interne est au cœur de cette manifestation audio-visuelle inédite.

Pourquoi un tel thème ?

Le thème retenu cette année « exilé.e dans son pays » souligne les conséquences de la guerre des gangs dans le pays. « Nous sommes en guerre contre nous-même », déclare Samuel Suffren lors d’un entretien accordé à notre rédaction. Le directeur artistique et notamment président de l’association KIT, a fait savoir que ce périple audio-visuel entrecoupé d’ateliers, des conférences débats et des projections de films documentaires dans les camps des déplacés fuyant la guerre des gangs, est un moyen pour les cinéastes de rapprocher l’art de ces exilés.es internes et de raconter l’histoire « autrement ».

« L’exil » ou les déplacements internes forcés

Toutes les éditions antérieures s’inscrivent dans une dynamique en résonance avec les phénomènes sociaux. En 2022 le thème « viv nan peyi sa ! » était une exclamation au sens d’indignation ou de crainte par rapport à la descente aux enfers du pays. Cette année encore, le regard reste figer sur les déplacements de masse (les déplacements internes), occasionnés par la guerre des gangs. Une guerre intestinale qui multiplie les migrations internes et externes. 

Cette énième édition veut regarder l’exil de l’intérieur, invitant le public à comprendre le sentiment d’exilé dans son propre terroir. Samuel Suffren, notamment directeur de programme du festival confie son indignation « les gens se déplacent de Carrefour-feuille, Martissant pour aller où ? 200 ou 300 mètres tout près ». Une description plausible au vu de l’état actuel des faits.

Le thème évoque la façon dont est conditionnée la population face à cette situation de crise et de déplacement en vrac. « Comment vivre dans une mentalité d’exilé ? », se questionne le festival quand une catégorie de personne se déplace par contrainte et qu’une autre ne peut se déplacer par cette même contrainte. Tout le monde reste enfermer chez soi, dans son vieux carré ; « vraiment on vit dans un pays où l’on s’emprisonne et c’est cet emprisonnement qui nous a intéressé » rajoute Mr Suffren qui dit vouloir raconter l’histoire autrement à travers ce festival de cinéma. Le 7e art se fait un refuge pour les déplacés qui, cette année, voient le cinéma venir vers eux dans les camps.

Un festival de cinéma au cœur des camps des déplacés

Les Rencontres du documentaire descendent dans les camps des déplacés cette année pour inciter les sinistrés à questionner leur situation à travers des projections qui jouent un rôle de mémoire. La projection du film de Kaveh Nabatian « kite zo a », le mercredi 6 décembre au Gymnasium Vincent, est non seulement une plongée vers l’expression de l’identité culturelle du pays, mais aussi un appel à la « résistance face à l’oppression extérieure ». Le festival se veut être un « miroir » pour les gens, une expérience à la fois personnelle et collective, où le festivalier peut s’évader le temps d’un instant devant l’écran.

« Nous voulons que les gens comprennent : les massacres, la répression politique par exemple, ce sont des phénomènes qui ont existé et qui se perpétuent » souligne Samuel Suffren qui se réfère au long-métrage de Marcel Beltràn « Option zéro » sur un groupe de migrants cubains en route vers le Mexique. Pour le président de l’association KIT, c’est un moyen de montrer aux festivaliers haïtiens que la migration est un phénomène partagé.

Une programmation au service de l’éducation et du divertissement

Au programme, il y a une pléiade de projections de films documentaires réalisés par des Haïtiens et étrangers. Huit jours de périple audio-visuel entre conférences débats et ateliers. Le festival vise entre autres l’éducation du public et la démocratisation de l’art par le développement de concepts rapprochant celui-ci des citoyens. Par exemple, « chez l’habitat » est un format à travers lequel des projections sont réalisées chez des citoyens : « Victorieux ou morts mais jamais prisonniers » projeté le lundi 4 décembre chez Estache Léopard, un film réalisé par Mario Delatour gagnant du prix du meilleur long-métrage de la Sélection Afrique Connection 2015, décerné par Vues d’Afrique et OIF. Puis « Avec Naomie » réalisé par Dumas Maçon projeté chez Ladouceur Elcie le 6 décembre.

Des projections en milieu scolaire et à l’Institut Français en Haïti.

Des Collèges comme Georges Marc, Maranatha, COPERNIC et le Lycée des Jeunes Filles ont reçu leur dose dans cette invitation à comprendre le présent à travers des projections qui ressassent le passé. Le film « 1964, simityè kamoken » de Rachèle Magloire projeté au collège COPERNIC le 6 décembre, et « Haïti, le silence des chiens » de Raoul Peck à l’Institut Français le même jour, un court-métrage qui d’après le synopsis met en scène deux visions du monde opposées sur fond de répression et de marchandage diplomatique. « Dès le début, notre objectif a toujours été d’éduquer les gens », rappelle celui qui a taillé le programme. « Nous voulons faire savoir au public qu’il y a des films intéressants qui ont été réalisés par des Haïtiens et des films documentaires sur Haïti réalisés par des étrangers » affirme-t-il.

Le festival des rencontres du documentaire en Haïti promet et sait s’adapter en fonction du contexte socio-politique, comme il a toujours fait depuis sa création. Cette année, « dans les camps » est initié non seulement pour pointer du doigt la situation d’exil des déplacés, mais aussi pour pallier les défis liés au déplacement dans les quartiers barricadés où habituellement le festival rencontre les habitants dans leur propre demeure.

La 5e édition des rencontres du documentaire s’est réinventée en plongeant les festivaliers dans une expérience démocratique de liberté de penser d’eux-mêmes en rapport aux faits qui ne sont pas sans conséquences sur le devenir individuel et collectif. Le thème de l’exil est un rappel du passé pour prendre conscience du présent et questionner l’avenir.

Crédit photo : association Kit