Il est des noms qui résonnent comme un manifeste » disait Senghor sur le génie de Price-Mars. Moi, tel un vieux livre d’histoire, je sors le nom d’Emile Célestin-Mégie des grands silences qui ne lisent plus ou qui meurent par manque de manifeste. Que reste-t-il de l’auteur de « Lanmoun pa gin baryè » qui a grandi dans la ville de Marigot et marqué la littérature d’expression créole ? Une ville d’ailleurs qui lui vaut l’anagramme de Togiram. Que reste-t-il de nous à lui ou de lui aux autres ? Probablement que certains y répondraient : ce qui reste, c’est la vieille cloche de l’église Saint-Dominique. Depuis 1785, elle annonce les mariages de bonnes vies et mœurs, les noces vicieuses de certains hommes ou la souffrance de certaines femmes, les prières d’invocation politique…tant d’autres choses encore. Ce qui reste, c’est le nom de l’écrivain qui mène à des rues, de ces rues à une bibliothèque qui s’ouvre ou se ferme selon l’humeur des responsables. Ce qui reste aussi, c’est la mer. L’odeur du poisson. Les yachts ou les bwa fouye qui arrivent et ceux qui partent. Il y a toujours une mer à côté de la liberté des hommes. Baudelaire l’a toujours su. Même si, dans cette ville d’ancienne paroisse depuis le temps colonial, ville qui tire son nom de l’ancien colon « Rigaud » selon les dires populaires, ce n’est pas la mer que les gens chérissent. Mais le poisson. Peut-être que la liberté, comme en littérature, s’attrape par la nasse des grandes faims. Des fins en soi.
Élevé par le vieux proverbe de ma grand-mère « Se Sen Toma m ye, se lè m wè mwen kwè », je suis allé à Marigot un dimanche. Et c’est triste de constater l’inaction culturelle de cette dernière. Bien sûr qu’il y a eu quelques tentatives de convoquer, dans la mesure du possible, les noms venant d’autres âges, d’autres livres d’histoire ou d’autres mers qui chérissent le monde. Des tentatives qui méritent humblement de saluer l’immense poète Inema Jeudi avec son projet ATOM (Atelier Togiram de Marigot) et À la traversée du Sud. Il a organisé toute une série d’ateliers, des rencontres littéraires et de festivals qui, par manque de sensibilité artistique venant de la part des marigotiens.nes ou de certaines personnes aliénées par des partis politiques crasseux, n’ont pas su faire long feu. Autrement dit : certains gens préféraient le poisson qu’un livre de Togiram ou un poème de Baudelaire. Triste constat d’un « Bien vivre » !
Par le temps qui court, nous courons tous. Certains par désespoir ou amour, d’autres par conformisme de la politique réglée contre la montre. Par le temps qui court, il y a des villes qui mènent à la sous-culture des gangs. D’autres qui se cherchent parmi son inertie culturelle. Heureusement, Marigot n’a que son inertie comme horloge. Et, au milieu de cela, même si quelques-unes des œuvres de Togiram contiennent parfois quelques ratages à mon goût, des vers lourds à porter dans l’âme ou qui devraient s’éclipser de la parole du poète, sa référence en matière littéraire demeure intacte pour l’histoire de la littérature haïtienne. Et qui sait ? Peut-être qu’un jour, où la majeure partie des marigotiens.nes n’iront plus pécher que le poisson ou les rumeurs des vagues, son nom entrera au Panthéon de « Il est des noms qui résonnent comme un manifeste ». Et ça, ce n’est pas Senghor qui me fera dire le contraire.
Ar Guens Jean-Mary, poète.