Le jeune poète Ar Guens Jean Mary, qui vient de remporter le Prix international de l’invention poétique et de traduction en langue(s) créole(s) par l’association BALISAILLE, se donne pour seul juge : la littérature.

C’est un jeune homme plein d’entrain que j’ai rencontré dans l’enceinte de l’Alliance française de Jacmel, lieu de rencontre par défaut des jeunes de la ville pour discuter de littérature et réaliser des activités culturelles. Comme le titre évocateur de Jean-Paul Dubois : « Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon », Ar Guens Jean Maryest ce jeune poète qui habite le monde par sa plume.

Auteur de trois recueils de poèmes, slammeur, récipiendaire des prix internationaux, boursier des résidences de création littéraire et artistique…pourtant, ce natif de Port-au-Prince n’a pas connu la littérature dès son plus jeune âge. C’est au lycée Anténor Firmin qu’il a rencontré son premier livre de littérature dont il ignore encore le titre et le recherche frénétiquement car, pour lui, « c’est là que tout à commencer ».

Né en 1992 et grandi à l’Avenue Christophe, cette longue avenue où se loge la Faculté des Sciences Humaines ; la Fokal, l’auteur de « À la poésie blessée par balles » a vécu son enfance cloîtrer dans la maison familiale. Au grand malheur, se souvient-il, il n’y avait pas de livres. En lieu et place des livres, des mots et des histoires, il bricolait des emballages, des marmites venant des poubelles, se rappelle-t-il.

Toutefois, c’était sa façon à lui d’habiter le monde, de sortir de l’ordinaire. D’ailleurs, son dernier recueil dont le titre énonciatif « La bouche du poète n’est pas un anus ordinaire suivi de En plein cœur du Je » témoigne cette façon extraordinaire d’habiter le monde. Aussi, est-ce une manière de choquer, de voir les choses à contre-courant. Ainsi, se projette-t-il dans le temps et donne l’ascendance à la postérité. Il le dit clairement : « Seule la littérature me jugera ». 

C’est à Jacmel que Mister Ar (son nom de scène) a embrassé la poésie et en a fait son métier. Jacmel, avec ses grands noms de la littérature comme René Depestre, Jean Metellus, Roussan Camille, Charles Moravia, est un haut lieu de création artistique, selon le trentenaire.

Venu résider à Jacmel avec une frange de sa famille après avoir terminé ses études classiques, il a fait des études en éducation, spécialité philosophie, à l’Université Publique du Sud-Est (UPSEJ). C’est dans ce « lieu calme » que le jeune poète qui est aussi enseignant a produit toutes ses œuvres littéraires.

« Le Nil noir de la vallée blanche », son premier recueil de poèmes, paru en 2017 chez « Toi Éditions » est en partie lié avec la rencontre du poète avec le vaudou. Comme il le dit lui-même : « C’est à Jacmel que j’ai rencontré le vaudou ; que je sais ce que c’est un péristyle ». Il considère cette œuvre comme un ramassis de son vécu ; de sa séparation avec des amis d’enfance et de la crise profonde qui engorge le pays.

Fasciné par la démarche du spiralisme, son œuvre est empreinte d’aller-retour. « Le Nil noir de la vallée blanche » est selon lui l’expression même du chaos.

La poésie de Ar Guens est aussi un miroir qui reflète les turbulences de la vie quotidienne, l’exubérance de nos peurs et malheurs. Son deuxième recueil au titre personnifié, « À la poésie blessée par balles », c’est toute une représentation de la violence policière dans une période de grande contestation sociale. Il croit sagement que « Le créateur ne peut s’échapper de son environnement immédiat de création ».

Comme tout jeune qui vit en Haïti, le slammeur crée difficilement. Il se souvient de l’angoisse qu’il a vécue lors de la création de sa deuxième œuvre qu’il a d’ailleurs perdu le premier jet du projet faute d’ordinateur. Il a connu un moment de grande solitude, où il restait à l’écart de toute activité. Pour lui, c’était « trois semaines de crise ; d’inquiétude ; de démarcation ».

Comme beaucoup de jeunes écrivains qui ont du mal à vulgariser leurs œuvres, Arguens Jean Mary a confronté à tout cela. Il a essuyé beaucoup de refus de la part des maisons d’éditions qu’il juge beaucoup trop commercial.   

Celui qui a bénéficié d’une résidence de création collective à l’Opéra Orchestre National de Montpellier, est habité par le désir de l’ailleurs.  Son rêve c’est de pouvoir créer dans un autre univers culturel : l’Afrique.

Sa conception de la Littérature consiste à ne pas cloisonner l’écriture littéraire dans des catégories. La poésie n’a pas de frontière de genre tout comme elle ne peut pas être murée. Pour lui, il suffit que ses œuvres parlent à l’humain.

Il voit la poésie dans toutes les formes d’expressions artistiques. Il a investi le rôle de librettiste lors de sa résidence de création à Montpellier, a exploré d’autres formes littéraires comme le théâtre et souhaite publier un roman dans pas longtemps, tout en ayant la poésie comme boussole.