À Jacmel, il existe une pratique sociale qu’on pourrait appeler le « fais-toi petit ». C’est une façon de disparaître un peu. De ne pas faire de vagues. De dire pardon à l’autre même quand il vient péter dans vos fleurs…De voir sans vraiment voir. En clair, c’est apprendre à ne pas dénoncer les gestes qui font du mal. Même quand ils touchent notre communauté. Une posture prudente de l’hypocrite coriace.
Deleuze disait : « Être de gauche, c’est d’abord penser le monde, puis son pays, puis ses proches, puis soi. Être de droite, c’est l’inverse. ». Ici, ces mots frappent fort. Je ne dis pas qu’il faut suivre Deleuze. Je dis seulement que, parfois, le collectif devrait passer avant tout.
Certains amis m’ont reproché certains textes. Les jugeant trop politiques. Trop à gauche. Ils craignaient que mes mots attirent des regards dangereux. Et me rendent vulnérable ainsi que mes proches. Je ne dirai pas si je les ai écoutés. Le simple fait d’en parler est déjà ma réponse.
Jacmel se croit tranquille. Loin des familles qui fuient Port-au-Prince. Loin de celles qui ont tout perdu : enfants, maisons, espérance. Loin de la malheureuse qui resta sur le pavé…Mais sous ce calme apparent, il y a une autre vie. Plus dure. Une culture du silence et du secret. Chacun protège son petit bourgeois de compagnie. « Tu me connais, ne parle pas de mon affaire », on se dit. Entre frères et sœurs, voisins, amis…. Le silence devient du prêt-à-porter. Une manière de vivre… Parfois hypocrite. Et coriace.
Cette pratique du « fais-toi petit » n’est pas unanime. Heureusement. Certains refusent de se taire. De céder à cette résignation visqueuse de l’individu. Même parmi ceux ou celles qu’on dit de droite. Moi, je pense avec Sartre : l’écrivain est responsable de ce qu’il écrit. Que le livre doit offrir une libération concrète à partir d’une aliénation particulière. C’est ce qui guide mes articles et mes textes. Surtout quand je parle de Jacmel.
Poète en chantier, modeste citoyen « ki ap chache nan konnen », j’attends le jour où les jeunes cadres parleront sans peur. Où personne ne sera muselé par les vieux lézards de la politique. Ces caïmans étoilés. Ce jour-là, Jacmel se regardera enfin. Elle verra sa laideur parmi les leurs. Et peut-être qu’à partir de cette révélation, le « fais-toi petit » deviendra « Osons d’être grand ensemble ».





