L’Argentine, avec ses trois titres de champion du monde et ses seize sacres en Copa América, n’est pas seulement une terre de football, mais un véritable laboratoire de philosophies du jeu. Des légendes comme Alfredo Di Stéfano, Mario Kempes, Diego Maradona et Lionel Messi ne sont que la pointe visible d’un iceberg de richesse footballistique, où la diversité d’idées et l’intensité des débats façonnent une culture unique.

Au cœur de cette effervescence, une confrontation intellectuelle se démarque : celle entre le menottisme, fervent défenseur d’un football romantique, et le bilardisme, apôtre d’un pragmatisme assumé. Cet article vous invite à explorer l’ampleur de cette rivalité entre ces deux courants d’idées qui ont durablement captivé le milieu du football argentin.

Menottisme : L’art du football selon César Luis Menotti

Lorsque César Luis Menotti a conduit l’Argentine à son premier titre mondial en 1978, il a réalisé bien plus que ramener un trophée à la maison : il a incarné une vision du football qui continue d’inspirer des générations. Le menottisme, souvent décrit comme un style élégant et flamboyant, est une philosophie où la beauté du jeu prévaut sur tout. « Le football, c’est un art, et les joueurs sont des artistes », déclarait Menotti, soulignant ainsi ses influences sud-américaines, notamment l’empreinte laissée par la technique brésilienne et la passion du tango.

Sous sa direction, l’Argentine a remporté la Coupe du Monde en privilégiant un football créatif et collectif. Menotti valorisait l’expression individuelle des joueurs et mettait un accent fort sur la formation des jeunes, en intégrant des méthodes d’entraînement axées sur le développement technique et la créativité. Par exemple, il encourageait l’utilisation de jeux réduits pour améliorer la prise de décision et le jeu collectif.

Des joueurs emblématiques comme Diego Maradona ont témoigné de l’impact du menottisme : « Menotti m’a appris à jouer sans avoir peur de me tromper. Il nous a donné la liberté d’exprimer notre talent. » Son style fluide et plaisant, qui privilégiait la possession de balle et le jeu de passes rapides, a fait du menottisme une référence encore reconnue. 

Menotti a également déclaré : « Le ballon est pour les joueurs ce que les mots sont pour les poètes. Dans leurs pieds ou dans la tête de certains d’entre eux, ils se transforment en œuvre d’art » (propos tiré de l’article de Thomas Goubin intitulé Luis César Menotti, vieux sage au chevet du football argentin). Cette métaphore illustre parfaitement l’esthétique du jeu qu’il prônait, où chaque passe, dribble et tir devient une véritable expression artistique.

Bilardisme : L’efficacité avant tout

En contraste direct avec le romantisme de Menotti, Carlos Bilardo a proposé une vision du football centrée sur l’efficacité et la rigueur tactique. Victorieux en Coupe du Monde en 1986 avec l’Argentine, Bilardo est devenu l’architecte du bilardisme, une école de pensée qui place le résultat au-dessus de l’esthétique. Son approche, souvent critiquée pour son manque de spectacle, était cependant redoutablement efficace. Il a prouvé que le football pouvait se gagner sans se soucier des clins d’œil à la beauté du jeu, mettant en avant une discipline tactique stricte.

Des figures comme Jorge Valdano, qui a joué sous la direction de Bilardo, ont partagé leur expérience : « Bilardo nous a appris à gagner, peu importe la manière. Le football est une compétition, et son pragmatisme a fait de nous des champions » (D’où, une approche qui résume parfaitement la conception du football chez les deux derniers sélectionneurs vainqueurs de la Coupe du Monde : Didier Deschamps 2018 et Lionel Scaloni 2022). Bilardo a aussi développé des stratégies novatrices, comme l’utilisation de l’intersaison pour évaluer et ajuster les rôles des joueurs, et a été l’un des premiers à introduire des analyses vidéo pour étudier les performances de l’équipe et des adversaires. 

Il a également accordé une attention particulière à la psychologie de l’équipe, favorisant une cohésion solide. Son succès en 1986 a montré que la victoire prime sur les choix tactiques, faisant du bilardisme une référence pour les entraîneurs privilégiant efficacité et pragmatisme. Cependant, certaines critiques notent que cette approche rigide a parfois limité la créativité des joueurs.

L’Influence des deux écoles : leur impact sur l’évolution du football argentin et son rayonnement en Amérique du Sud

La dualité entre le menottisme et le bilardisme a profondément marqué l’histoire du football argentin, façonnant non seulement les styles de jeu mais aussi la mentalité et la philosophie des entraîneurs. Ces deux courants, bien que radicalement opposés en apparence, ont contribué à créer une approche singulière qui marie habilement technicité, créativité et rigueur tactique. C’est cette alchimie subtile qui a permis à l’Argentine de s’imposer comme l’une des puissances dominantes du football sud-américain depuis des décennies.

À l’échelle internationale, ce choc des idées a alimenté une réflexion plus large sur l’essence même du football, où la quête esthétique se mêle à l’exigence du résultat. Lionel Scaloni, en guidant l’Argentine vers la victoire en Coupe du Monde 2022, incarne cette synthèse parfaite. Sous sa direction, l’équipe a su équilibrer une liberté créative tout en restant disciplinée tactiquement, adoptant des éléments des deux philosophies, comme l’attaque dynamique de Menotti et la rigueur défensive de Bilardo.

L’influence des entraîneurs argentins dépasse la sélection nationale, marquant les clubs et équipes sud-américaines. Leur rayonnement dépasse les frontières, marquant de leur empreinte les clubs et les équipes nationales à travers le continent sud-américain. Le fait que six des dix sélections de la CONMEBOL soient dirigées par des Argentins témoigne de leur maîtrise technique et de leur impact sur la culture footballistique du continent. Des entraîneurs argentins comme Marcelo Bielsa et Jorge Sampaoli ont révolutionné leurs équipes par des approches innovantes, prouvant que leur héritage est plus qu’une simple rivalité.

Conclusion

La confrontation entre menottisme et bilardisme dépasse la simple querelle idéologique ; elle incarne la richesse et la complexité du football argentin. Loin de diviser, cette dualité a enrichi le football argentin, le hissant au rang de modèle pour le reste du monde. À travers les décennies, les succès internationaux, notamment en Coupe du Monde et en Copa América, témoignent de cette évolution harmonieuse des styles, où créativité et efficacité cohabitent.

L’héritage des philosophies menottiste et bilardiste influence encore le football sud-américain, avec de nombreux entraîneurs argentins à la tête des sélections de la CONMEBOL. Cela souligne la richesse du football argentin, qui allie esthétique et efficacité, tout en continuant de former des talents pour les clubs locaux et européens, consolidant son statut de modèle mondial. À l’avenir, il est essentiel d’examiner comment cette dualité évoluera et son impact sur le développement des jeunes talents. Cette interaction pourrait inspirer de nouveaux entraîneurs à innover en formation et en tactiques, maintenant ainsi l’Argentine à la pointe du football.

Sources :

Menotti et Bilardo, une confrontation d’idéologies Par Guillaume Romeyer

Luis Cesar Menotti, vieux sage au chevet du football argentin Par Thomas Goubin

Lucarne Opposée – César Luis Menotti : « Le Menottisme est une connerie »

Folk Football – César Luis Menotti et la philosophie du jeu

So Foot – Il n’y avait pas que Maradona…