Hormis quelques femmes dont les noms restent gravés dans la mémoire de certains pour leur bravoure et leur empathie durant la guerre de l’indépendance, la femme haïtienne n’a jamais été considérée comme un être capable de prendre part dans les grandes décisions de la vie nationale. Une triste réalité qui traduit le côté patriarcal de la société haïtienne et entraine de lourdes conséquences sur la vie sociale, économique et politique des femmes haïtiennes.
Cependant, les législateurs et les gouvernements haïtiens n’ont manifesté aucune volonté pour équilibrer la société haïtienne de manière à ce que les hommes et les femmes puissent jouir des droits similaires. D’ailleurs, ce n’est qu’en 1982, avec le décret du 08 octobre 1982 donnant à la femme un statut conforme à la constitution et éliminant les formes de discrimination à son égard, que les femmes mariées haïtiennes ont acquis certains droits. La femme devient alors une coadministratrice de la communauté et l’autorité paternelle fut remplacée par l’autorité parentale.
Un décret qui, pour autant a été pris dans un contexte très compliqué. La communauté internationale voulait à tout prix promouvoir l’émancipation de la femme à travers la Convention sur l’Elimination de toutes les Formes au début de l’année 1979. Et le régime dictatorial voulait, à cette époque, soigner son image sous la scène internationale particulièrement vis-à-vis des Etats-Unis, selon le reporteur Régis Faucon Tony Daval. Pourtant, c’est ce même régime qui n’avait pas hésité, durant les deux précédentes années, à maltraiter et piétiner le droit de la liberté d’expression de bons nombres haïtiens et haïtiennes dont Liliane Pierre-Paul, Vivianne Nicolas selon des interviews accordées à Inter Haïti.
Ce décret est de toute évidence le fruit de la signature de la CEDEF et a été une acquisition importante dans la lutte féministe en Haïti, mais il connait aussi certaines limites. D’où l’importance de comprendre ses apports dans le processus de l’émancipation de la femme haïtienne mais aussi ses limites et des perceptives envisageables.
Les avancements du décret
Ce décret marque une étape phare dans la lutte menée par les féministes en Haïti pour l’émancipation de la femme haïtienne. Si pendant la dictature le mouvement féministe a connu une sombre période, la prise de ce décret a permis à certaines femmes de mieux s’impliquer dans les affaires socio-politiques du pays ainsi que la multiplication des organisations féministes dont Kay Fanm en 1984, qui va participer à l’une des plus grandes marches nationale, celle du 3 Avril 1986. On assistera, plus tard, à plusieurs d’autres organisations féministes dont Solidarite Fanm Ayisyèn (SOFA) en 1987, Fanm Deside en 1989 avec une mission commune, celle de promouvoir l’émancipation des femmes haïtiennes.
La multiplication de ces organisations vont amplifier les revendications des femmes en Haïti de telles sortes que leurs revendications devenaient publics et incontournables. Toutes ces revendications vont favoriser l‘adoption de certains textes juridiques tels que la loi sur la Paternité, Maternité et Filiation publiée en 2014, la loi Electorale de 2006 établissant un quota minimale de 30% de la représentativité des femmes dans les postes électorales.
Ce décret est aussi un élément justificatif pour la présence d’une poignée de femmes sur la scène politique, on peut citer des femmes comme Ertha Pascal TROUILLOT (Première Femme Présidente en Haïti), Claudette A. Werleigh (Première Femme Première Ministre en Haïti) Michèl Duvilier PIERRE-LOUIS (deuxième Femme Première Ministre en Haïti) sans oublier d’autres femmes qui, par la suite vont se porter candidates à tous les niveaux.
Le dit décret est aussi un outil dans lequel est insérée la volonté de permettre aux femmes, surtout les femmes mariées, de devenir autonomes économiquement. A cet effet, dans un article publié, à l’occasion de la journée internationale de la Femme, en 2020 par La voix des femmes haïtienne, plusieurs femmes ont témoigné qu’elles ont pu jouir, désormais, de leurs droits économiques en créant leur propre entreprise qu’elles dirigent elles-mêmes.
Mais qu’en est-il des limites ?
Les limites du décret
À côté de l’ineffectivité des lois et des difficultés retrouvées au niveau de l’appareil judiciaire pour faire respecter les provisions légales nationales et internationales signées et ratifiées par Haïti, le décret en lui-même comporte certaines limites qui sont cruciales pour l’émancipation de la femme en Haïti. Il est à souligner que le décret a été pris pendant une période très précaire pendant le régime dictatorial de Jean-Claude Duvalier. Ce qui n’a pas été expressément un besoin socio-économique qui captait l’attention du gouvernement. Certains ont même souligné que ce dit décret n’impliquait pas les préoccupations des femmes paysannes de l’époque.
En effet, le décret comprend certains articles discriminatoires à l’encontre de la femme. C’est le cas de l’article 8 qui prévoit qu’en cas de désaccord sur l’administration de la communauté, le mot du mari est supérieur à celui de la femme sous réserve de l’article 6 de ce même décret qui donne possibilité aux conjoints de demander l’intervention du Doyen du Tribunal Civil.
L’article 13 dispose que « les époux pourront réciproquement demander divorce ou séparation de corps pour cause d’adultère, sévices ou injures graves et publiques de l’un envers l’autre », sans pour autant pris aucune mesure légale pour abroger l’article 216 du code civil haïtien qui traite de manière déséquilibrée l’adultère entre l’homme et la femme.
Pour l’article 5, c’est le comble. Ce présent article dispose « ils choisissent de concert la résidence de la famille. Cependant, le domicile conjugal demeure celui du mari ». Paradoxe ou mauvaise foi ? Pourquoi inclure un tel article dans un décret qui vise à éliminer les discriminations à l’égard de la femme ? Dans un article de Phillippe J. Volmar, publié en 2009 dans le nouvelliste, titré libérer la femme d’un décret libérateur, il démontre la discrimination épouvantable de l’article 5 de ce décret.
Face à de telles limites et l’apparition de nouvelles revendications portées par les féministes, des perspectives semblent nécessaires.
Nouvelles perspectives par rapport à l’effectivité du décret et notre réalité actuelle
À l’occasion des 41 années de la commémoration de ce décret, les Jeunes Activistes Féministes d’Haïti (JAFH) ont organisé une causerie animée par deux intervenantes dont la sociologue-féministe Tamas Jean Pierre et la juriste-féministe Edeline Jean Jacques autour du thème « 41 ane dekrè 08 okto\òb 1982 kont diskriminasyon fanm : ki avansman, ki limit ak ki pèspektiv ». Cette journée visait à comprendre et discuter autour du dit décret, avec la participation de plusieurs representants.es des instances publiques et communautaires évoluant dans le domaine des droits de l’homme dont le Directeur de l’Office Protecteur du Citoyen dans le Sud’Est, OFIJ, Flore des Femmes, RESED, OGEDESE, JISTIS, Infos Femmes, REFOJ, Agences des Femmes rondes, des representants.es de la presse dans le Sud’Est, des entrepreneures telles que la PDG de Paradis Transformation, la PDG de Pi pwòp pi blan.
À cote des limites susmentionnées qui méritent d’être révisées, de nouvelles perspectives ont été envisagées en raison de certaines limites et le silence du décret sur certaines problématiques et discriminations à l’égard de la femme. En effet, ce décret, qui dispose en son article 13 la question d’adultère qui jusqu’à date n’a fait l’objet d’aucune nouvelle texte juridique visant à le traiter de manière équilibrée pour les deux sexes. D’où le besoin de redéfinir l’adultère de manière équilibrée pour les deux sexes. En outre, les participants et participantes ont aussi mis l’accent sur la loi sur la Paternité, Maternité et Filiation qui ne prend pas en compte la fragilité économique de la femme haïtienne en lui laissant la responsabilité de rechercher la preuve de paternité sans aucun accompagnement institutionnel et technique. A cet effet, un bureau spécial pouvant faciliter les concernées à se procurer le test de l’ADN gratuitement, comme preuve incontournable. Tout comme notre code pénal, le décret ne fait aucune précision sur les viols conjugaux et reste muet sur toute éventuelle avortement au sein de la communauté en fonction des circonstances bien définies. Enfin, il faut aussi tenir de l’article 5 de ce dit décret qui incarne une discrimination à la fois économique et civile à l’égard de la femme en faisant de l’époux le propriétaire du domicile conjugal.
Ainsi il est plus que nécessaire de réviser et d’abroger certains articles et ajouter de nouvelles dispositions cadrant avec les nouvelles revendications du mouvement féministe. Sinon on pourra que dire que les gouvernements et nos législateurs persistent à rester coincer entre l’irresponsabilité et spectateurs des discriminations à l’égard de femme haïtienne.
Texte collectif des Jeunes Activistes Féministes d'Haïti (JAFH)